L'Homme jugé par les Animaux Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Un amateur de chasse
Dans un bois courait le gibier.
Un jeune lièvre passe ;
Vite, il l'ajuste, et le plomb meurtrier
Tout net vient lui raser la queue.

Le corps ensanglanté,
L'animal fuit épouvanté,
Court encore une demi-lieue,
Arrive et fait sa plainte au roi.
Le lion, malgré ses airs graves,
Bit fort de l'accident, et jure sur sa foi
De venger cet affront. L'ordre est donné, vingt braves
Courent les bois, et le chasseur est pris.
La cour s'assemble
Nomme quatre jurys,
Et tout le peuple ensemble
Se constitue accusateur.
Do l'homme, aucun ne veut être le défenseur.
L'accusé paraît, voit et tremble.

Pour provoquer un plus vif châtiment,
Le lièvre expose aux yeux son derrière sanglant,
Secoue un peu l'oreille, et tristement soupire.
L'auditoire éclate de rire,
Et puis le royal président
A l'assemblée annonce
Que le délit est constaté.
Mais, avant qu'il prononce,
Tout plaignant doit être écouté.
« Parlez, dit-il, contre les hommes
Avez-vous quelqu'autre grief ? »
Tous, à la lois, interrompent le chef:
« Oui, nous tous, autant que nous sommes,
Nous avons... » — L'austère lion
Se lève, agite la sonnette :
« Messieurs, dit-il, une accusation
Doit être claire et nette.
L'un après l'autre expliquez-vous. »

Le bœuf s'avance et dit: « Je laboure la terre,
Nourris l'homme, et l'ingrat, sans se mettre en courroux,
M'assomme froidement pour faire bonne chère.
— Il est, dit le cheval, avec moi bien plus doux ;
Mais, pour prix de ma peine, un peu vieux, il m'égorge.
Vend ma peau... — Moi, dit l'âne, idem. » Vache, porc, veau,
brebis, chacun à pleine gorge
Crie idem, ajoutant qu'il sert de fricandeau.
Les dindons, les oiseaux disent qu'on les enfile
Sur la broche ; les coqs, les poulets, qu'on les grille ;
Les poissons qu'on les frit. « On nous met en civets,
Dit le lièvre blessé, puis l'on vend la fourrure.
— Quelle horreur ! C'est assez !...
S'écrie alors le roi. Ciel ! toute la nature,
Contre l'homme assassin, ne pousse qu'un seul cri !
Parie ! que réponds-tu ? — Que j'ai beaucoup d'esprit,
Qu'en vous mangeant je vous lais encor grâce.
Au reste, ici, venez prendre ma place,
Pour vous juger, vous qui tout dévorez. »
Le roi répond: « Mon titre est authentique,
Par le ciel dicté tout exprès ;
Il m'a fait carnivore, et vous savez assez
Que, sans vous donner la colique,
Les végétaux sont faits pour vous nourrir.
L'attrait seul de la friandise
Commande vos forfaits ; vous versez par plaisir
Le sang d'une brebis soumise,
D'un chevreuil au berceau,
D'une tourterelle innocente ;
Vous écrasez, plein d'une humeur riante,
Sans nul besoin, et mouche et vermisseau.
Toi, tout ici t'accuse et te condamne ;
Priver de queue un lièvre, est sans doute un délit ;
Mais de cette leçon qui de mon cœur émane,
Profite: Sache donc que tout être qui vit
Est l'œuvre de la Providence,
Et l'homme vertueux jamais ne le détruit
Pars, et rougis de ma clémence... »

Livre II, fable 7




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