Un homme avait à passer un pont jeté sur un fleuve large et rapide. Arrivé au milieu du pont, il aperçut dans l'eau un gros poisson et dit en lui-même :
« La chair de ce poisson doit être excellente ! Si je ne craignais pour ma vie... mais, bah ! je suis bon nageur, et si je cours quelque danger, je nagerai jusqu'à ce que je me tire d'embarras. »
Il s'élança donc tout habillé à la poursuite du poisson ; mais la force du courant l'entraîna bien loin. Toutefois, il ne quitta pas le poisson pour songer à sa propre sûreté; il le prit même avec la main et se laissa aller au fil de l'eau jusqu'à ce qu'il vint se jeter dans un tourbillon auquel personne n'arrivait sans s'y engloutir. Sur le point de se noyer, le malheureux lit entendre un cri de détresse qui attira vers lui un batelier,
« Qu'as-lu fait là? » dit celui-ci.
— « Je suis, répondit-il, un homme qui a quitté le vrai chemin où l'on est en sûreté pour se jeter dans le malheur et la mort. »
— « Pourquoi, dit le batelier, as-tu abandonné la voie du salut que tu avais devant les yeux, pour te plonger dans ce tourbillon ? Tu sais pourtant quel sort est réservé à quiconque vient y tomber. Qu'est-ce donc qui t'a empêché de jeter ce que tu tenais dans ta main pour sauver ta vie ? Tu n'aurais pas trouvé une mort inévitable, et maintenant nul ne mérite plus que loi ce trépas. »
Et l'imprudent disparut sous les flots.