Le Réverbère et le Cierge Léon Riffard (1829 - ?)

Dans une ville d'Italie
Que je ne vous nommerai pas,
Devant une niche, fleurie
De roses et de lilas,
En l'honneur du mois de Marie,
Brûlait, soir et matin, sur un grand chandelier,
Un petit cierge.
A sa faible lueur, dans l'ombre du pilier,
Se dressait bien vêtue, avec un beau collier,
La Sainte-Vierge.
Un réverbère au coin de la maison
Se balançait d'un air plein d'importance
Au bout d'une belle potence,
Allongeant dans la rue un oblique rayon :
- Toi, se prit-il un jour à dire,
Cierge, mon bon, tu me fais rire.
Est-ce la peine, en vérité,
De consumer ainsi ta cire
Pour produire, en fait de clarté,
Un point rouge !
Qui pour un rien vacille et bouge,
Et dont le merveilleux éclat
N'a guère d'autre résultat
Que de redoubler les ténèbres.
Autour de tes lueurs funèbres
Regarde-moi !
Voilà vraiment de la lumière ! »
« - Vous croyez, illustre confrère ?
Répondit l'autre, sans émoi,
Mais voyez au bout de la rue
Cette belle et grande avenue,
Où passe du soir au matin
Maint cavalier, maint équipage :
Très brillant en est l'éclairage ;
Mais vos fameux quinquets n'y sont pour rien, je gage,
Bien petit est votre destin,
Et la loi du progrès vous relègue au village.
Que dis-je ? Le gaz même arrive à son déclin.
Plus loin que l'avenue, au milieu de la place,
Admirez ce foyer, ce globe lumineux !
On dirait d'un soleil descendu de l'Espace,
Pour relayer celui qui se cache à nos yeux.
Donc, vous ferez bien d'en rabattre,
Et de ne pas traiter les gens du haut en bas.
D'autant que sûrement vous ne me valez pas.
Ma petite lueur bleuâtre
Emprunte toute sa valeur
Aux saintes croyances du cœur ;
Mais dans l'ordre des temps, vous, monsieur le rieur,
Vous n'êtes qu'une vieillerie.
Bien sot qui méconnaît, bien fou qui déprécie
Les prodiges de l'Industrie.
Mais la Poésie et l'Amour
Suivront l'humanité jusqu'à son dernier jour,
Pour la consoler de la vie !

Livre IV, Fable 7


Titre complet : Le Réverbère et le Cierge ou le Progrès des Lumières

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