La Lampe et le Réverbère Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Une lampe brûlait chaque jour de l’année
Sur la place où la foule, à l’approche du soir,
Venait se reposer des soins de la journée
 Et chercher un nouvel espoir.
Derrière cette lampe un large réverbère
 D’un métal précieux,
Réunissant ensemble, en faisceaux radieux,
 Les doux rayons de la flamme légère,
Inondait jusqu’au loin les dalles du pavé.

 Après avoir longtemps rêvé
 À la noblesse de son rôle,
 Le drôle
 Se laissa troubler par l’orgueil,
 Puis en ces mots apostropha la lampe :

 — Décampe !
La place, pour cela, n’en sera point en deuil :
 C’est moi qui fais glisser ces gerbes
 Superbes
 Sous les pieds du promeneur,
 Et l’honneur,
Par un injuste sort, en revient à toi seule.

 — Je n’aime pas à me vanter,
 Mais ne suis pas, non plus, bégueule,
Et contre tes discours il me faut protester,
 Ou l’on me croirait lâche,
Lui dit la lampe. Or, c’est pour m’aider à ma tâche
Que tu fus mis ici, ne le sais-tu pas bien ?
 Sans moi, va, tu ne serais rien.

 — Tu n’es qu’un simple verre,
 Reprit d’un ton sévère
 Le réverbère de métal…

Et puis, comme il cherchait quelqu’autre mot brutal,
Une légère brise, afin de le confondre,
 Vint lui répondre
 En éteignant la lampe de cristal.

Dieu, voilà la lumière
Que le génie humain réfléchit ici bas :
Combien dans le palais, combien dans la chaumière,
 En leur orgueil, n’y pensent pas !

Livre I, fable 6




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