L'Acacia et le Peuplier Léon Riffard (1829 - ?)

Un peu loin de l'allée, au milieu du gazon,
Dont la fine verdure encadrait la maison,
Un acacia séculaire
Etalait ses rameaux épais,
Arrondis en forme de dais,
Au-dessus d'un banc circulaire.
Dans le massif voisin, les arbres les plus beaux,
Au-dessus de mille arbrisseaux,
S'entre-croisaient, d'aucuns s'élançant dans l'espace,
D'aucuns retombant avec grâce,
Cascadant ou pyramidant :
Feuillages d'or brochés sur feuillages d'argent.
D'un triple rang de fleurs s'égayait la bordure.
Au centre, un peuplier superbe, déjà vieux,
Dressait hardiment vers les cieux
Sa haute flèche de verdure,
Dont le bout dépassait le toit de la villa.
Offusqué de ce voisinage,
Le gros acacia
Dit au grand peuplier, un certain jour d'orage :
- Je vous plains bien sincèrement,
Car c'est pour vous un vrai tourment
Que ce vent !
Quel déchaînement, quelle houle !
Quant à moi, je me ris de sa vaine fureur :
Je me tiens coi, je fais la boule.
Mais vous, votre excès de hauteur
Vous livre sans défense
Aux assauts du mistral, sitôt qu'il entre en danse.
Sous la tempête de ses coups
Je vous entends gémir, sans pouvair rien pour vous.

Le peuple, profitant d'un instant d'accalmie
Lui répondit : - Merci de votre sympathie,
Merci, voisin, mais calmez-vous :
Je me ris comme vous de ce bruyant courroux.
Je fais mieux : sans courber l'échiné,
Puissamment arc-bouté sur ma triple racine,
Je tiens bon, je combats ce stupide souffleur.
Voilà plus de cent ans que nous luttons ensemble.
Il me connaît. Et ne croyez pas que je tremble.
Je courbe le cou, soit ! mais, comme le lutteur,
Pour mieux le relever, et je reste vainqueur !
Et tenez, il faiblit; l'ouragan se fait brise.
Il fait moins noir, on y voit mieux.
Et vous pouvez d'en bas voir, avec de bons yeux,
Dans l'obscure clarté des cieux,
Le profil de ma tête grise.
Déjà le jour, qui pointe à l'horizon,
Me détache un pâle rayon ;
Cependant que, noyés encore dans les voiles
Que la nuit peu à peu replie autour de moi,
Vous ne voyez ni les étailes,
Ni l'aube qui rougit. Mais quoi !
Le Dieu, voici le Dieu ! le Dieu qui tout ranime.
Il émerge du sein des eaux,
Embrasant de ses feux le transparent abîme.
Le premier je m'incline, et les petits oiseaux,
Les chardonnerets, les moineaux,
Pour mieux le saluer, se perchent sur ma cime.
Cessez donc de me plaindre, ô mon brave voisin.
Quand on a reçu du destin,
Comme moi, la force et la taille,
Il faut savair livrer bataille. -

Ce peuple parlait sagement,
Bien qu'il manquât un peu, peut-être, de mesure.
Tel a le goût de l'aventure ;
Tel autre celui du logis.
Vous, vous parlez, et moi, j'agis.
Chacun suit son instinct, sa pente, sa nature.

Livre IV, Fable 2




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