Naguère l'on voyait, dans un petit hameau,
Un Peuplier, un Lierre, un Laurier, un Ormeau.
Ces quatre individus, sur la place publique,
Attiraient tous les yeux et charmaient les regards,
Leurs souvenirs offrant l'intérêt historique
Dont brille la lueur sur le front des vieillards.
Tout près de là vivait un Rossignol en cage,
Qui sans cesse exprimait dans un charmant ramage
Ses observations, ses sentiments divers
Sur les incidents du village,
Sur tel fait ou sur tel usage :
Il eût critiqué l'univers
Dans son amusant bavardage,
Plus brillant peut-être que sage.
Chacun y passait à son tour,
Et, grâce à je ne sais quel tour D'élégance, de persiflage,
Et d'ingénieux badinage , On l'écoutait avec amour.
Il avait pour le chant un talent remarquable,
Que même les savants disaient inimitable.
Il était professeur, et l'on aimait ses cours.
Des fugues en mineur, des gammes chromatiques
S'entremêlaient aux chants de ses plaintifs amours ;
Et ses concerts passaient pour des fêtes publiques,
Où de dilettanti venait un grand concours.
A de lugubres airs, par des notes joyeuses
Et des pauses capricieuses,
Il donnait un genre nouveau.
Dans le bizarre élan de sa verve adorable,
Il commençait un chant sur un ton lamentable,
Et finissait par un rondeau.
La foule enthousiaste à tout criait : « Bravo ! »
Il excellait dans l'art des trils et des roulades ;
Pour les airs de bravoure il était sans égal ;
On ne chanta jamais les tendres moutonnades
Sur un ton si naïf, si pur, si pastoral.
Brillant comme un ténor, savant comme un solfège,
Avec un art divin il modulait l'arpège.
Ses préludes étaient souvent
A se mettre à genoux devant.
Les auditeurs étaient pris comme dans un piège,
Et du jeune chanteur se trouvaient si ravis
Qu'ils finissaient toujours par suivre ses avis...
Oui , j'ai dit ses avis , car sa verve bénie
Donnait toujours un sens à sa tendre harmonie.
Il ne se bornait pas à de stériles sons ;
Et même fort souvent naissaient de son génie
Des discours moraux en chansons.
Ce petit Ménestrel, fier comme on peut le croire,
De tout l'effet qu'il produisait
Sur un si nombreux auditoire,
Ne se lassait pas de sa gloire,
Et très rarement se taisait.
De sa cage un jour il s'échappe,
Et, l'Orme étant à quatre pas,
Sur lui va prendre ses ébats.
« Ce n'est pas moi que l'on rattrape,
Dit-il, en sons si délicats
Que chacun lui prêta l'oreille.
La liberté sied à merveille
A ceux qui n'en abusent pas.
Puisqu'un heureux hasard, en étendant ma sphère,
Va me montrer enfin le monde tel qu'il est,
Je sais bien ce que je vais faire :
A chacun je dirai son fait
Sans apologue , sans mystère.
Je commence par vous, bel Orme, s'il vous plaît.
Nous honorons votre naissance ;
On sait d'où vous venez ; tout le monde connaît
La main qui vous planta, lorsque la Providence,
S'intéressant encore aux destins de la France,
Voulut qu'un Béarnais , par le droit suscité,
Ne laissât pas périr la légitimité.
Mais l'on n'admire en vous que le jalon vivace
D'une ère qui n'est plus et d'un droit qui s'efface.
Vous êtes devenu si vieux
Pour les esprits et pour les yeux,
Que maint passant en vous ne voit plus que l'image
D'un géant accablé par le temps et l'orage.
Vous avez cessé d'être un oracle des cieux.
Ce que nous possédons n'est peut - être pas mieux,
Mais paraît plaire davantage.
Malgré le souvenir de vos jours orgueilleux,
Vous finirez bientôt dans un dernier outrage,
Comme l'on vit naguère un trône glorieux
Disparaître dans un naufrage.
Parlez donc sur un ton plus doux ;
Ne vantez plus avec courroux
Les vieux documents que l'histoire
A gravés dans votre mémoire,
Et qui ne sont plus faits pour nous.
Réservez vos conseils pour vous :
On ne consent plus à vous croire. »
De là le Rossignol avec empressement
Court au Lierre, et lui chante en un mode charmant,
Dont mes vers essaieraient vainement de traduire
La grâce, la douceur, le ton, le sentiment :
Je vous connais aussi, beau sire,
Et suis fort mécontent de vous
On m'a chargé de vous le dire,
Et de braver votre courroux.
Si l'on s'en rapporte à l'histoire,
Vous avez plusieurs qualités,
Et sans examen, je veux croire
Que ce sont des réalités.
Le mot, « Je meurs où je m'attache, »
Assurément venait du cœur,
Et vous a fait beaucoup d'honneur.
Mais votre zèle se relâche,
Et vous avez certaine tache
Qui doit nuire à votre bonheur,
Et qui vous rendra ridicule :
On vous voit donner sans scrupule
Vos feuilles au premier venu,
A l'étranger , à l'inconnu.
Il m'est prouvé par votre histoire
Que vous n'avez pas de mémoire,
Que vos amours sont incertains.
Sous le Roi, sous le Directoire,
Et sous le Dieu de la victoire,
Vous étiez de tous les festins ;
On vous a vu sous des baraques
Accepter d'étranges destins
Au service de libertins,
Et vous étiez pour les Cosaques !...
N'ayant pas de sincérité,
A l'ignoble infidélité
Vous servez d'image, de type.
J'en atteste tout le passé :
Robespierre, Charles, Philippe
Ont vu le Louvre, tapissé
Par vos platitudes étranges,
Se prêtant à tous les mélanges.
Vraiment c'est du plus mauvais goût.
Si , ne vous voyant pas du tout
Dans les guirlandes et les franges,
Je vous croyais absent partout,
Et vous adressais des louanges,
On vous retrouvait au surtout
Sur la crème ou sous les oranges.
En vérité ce n'est pas bien,
Et ma douleur en est profonde ;
Lorsque l'on aime tout le monde,
Le fait est que l'on n'aime rien.
Comprenez un peu mieux la chose :
On doit respecter tout lien,
Et ne pas déserter sa cause :
Vacille-t-elle ? on la soutient ;
Quant elle tombe, on s'en souvient.
Oui , pour peu qu'on ait de sagesse,
D'honneur et de délicatesse,
On fait un choix, et l'on s'y tient. »
Et le Rossignol, sans attendre
Une réponse à son discours,
Chante au Peuplier d'un air tendre :
Sans être l'arbre des amours,
Vous avez eu le don de plaire,
Mais , hélas ! ce fut dans une ère
Dont on maudit le souvenir,
Et qui ne doit pas revenir.
Avec une odieuse audace
On vous a mis sur cette place
En invoquant la liberté ;
Mais tout cela n'était que songe :
Vous étiez l'arbre du mensonge
Et non de la réalité ;
La fausse liberté, dont vous êtes l'enseigne,
Sur les débris, les morts et l'épouvante, règne
Au nom de la fraternité.
De là sur le Laurier il vole,
En fredonnant : « Je me console,
Noble Laurier, en vous voyant
Toujours debout et verdoyant.
Soyez notre dernier refuge,
Cher monument du souvenir,
Et, même après notre déluge,
Resplendissez dans l'avenir !
Tout Rossignol, étant poète,
Doit être plus ou moins prophète :
Croyez donc ce que je prévois,
Ce que je sais , ce que je vois
Pour les destins de la patrie :
Je vois le triomphe des droits,
Le bienfaisant règne des lois,
Des talents et de l'industrie.
Je ne sais quand cela viendra ;
Mais de nous Dieu se souviendra :
Clément pour celui qui le prie,
Il désarmera sa furie.
Je vois des moissons de lauriers
Non seulement pour les guerriers,
Mais pour tous les dons du génie.
Entre toutes les nations,
Après tant de divisions,
Je vois renaître l'harmonie.
Et la France, que son erreur,
Et la discorde aventureuse,
Et la manie ambitieuse,
Livrèrent en proie au malheur,
Et rendirent longtemps fameuse
Au sein d'une paix glorieuse
Trouve le secret du bonheur. »
Une deux plus longues fables que j'ai jamais vue.