Je voulais chanter la Jeunesse,
Les dons de l'esprit et du cœur,
Les grâces ornant la sagesse,
L'Amour au sein de la pudeur,
Sentant le prix qu'à la tendresse
Donne l'innocence des mœurs,
Fixé par des liens de fleurs,
Que l'hymen resserre sans cesse,
Et le mérite revêtu
De la splendeur que la Noblesse
Et le rang donne à la vertu.
Mais la Muse à qui je m'adresse
Pour m'étayer dans ma faiblesse,
Voyant mon esprit éperdu
Dans un sujet qui l'intéresse,
Manquer et de force et d'adresse,
Me dit : imprudent, que fais-tu ?
Le zèle égare ton courage.
Ne vas pas, mal-à-droit rimeur,
Sur cette mer, bravant l'orage,
Et ces écueils qui te font peur,
Te signaler par un naufrage ;
Modère une vaine chaleur,
Et sans t'éloigner du rivage,
Cueille sur tes pas une fleur.
Il ne t'en faut pas davantage ;
L'encens d'un éloge flatteur
N'ajoutera rien à l'hommage,
S'il est présenté par le cœur.
Prends ta lyre et chante l'histoire
Dont je vais faire le récit.
Le fait est vrai ; tu peux m'en croire :
Jadis Saturne me l'apprit.
Puissent les enfants de la terre
Qu'un heureux lien réunit,
En faire aussi bien leur profit !
Et si jamais quelque Mégère,
Quelque domestique vipère,
Telle que l'enfer en vomit,
Osait sur leur destin prospère
Distiller un venin maudit,
Qu'alors l'Ormeau, la Vigne et le Lierre
Viennent s'offrir à leur esprit.
La terre, dans ce premier âge,
Où l'homme encor, voisin de son berceau
Faisait le doux apprentissage
D'un état, d'un bonheur nouveau,
Avait, sous un heureux présage,
Vu célébrer le mariage
De la Vigne et du jeune Ormeau,
Elle attendait avec impatience
L'instant fortuné de jouir
Des fruits qui de cette alliance
Devaient, selon toute apparence,
Ne point tarder à provenir.
Des deux époux on voyait le branchage ;
Chargé de pampre et de feuillage,
S'entrelacer en longs cerceaux
Et sous leurs fleurissants rameaux,
L'homme trouvait déjà l'ombrage ;
Et ne voyait plus les oiseaux
Dont il entendait le ramage.
Un Lierre, rampant près d'eux,
Qui, dans ses replis tortueux,
Regardait d'un œil de colère
Cette union et si belle et si chère,
Essaya d'en rompre les nœuds.
Il disait tout bas à la Vigne :
Votre époux sans doute est heureux
D'avair une épouse si digne
De fixer à jamais ses vœux.
Mais croyez-vous que ce bonheur insigne
Flatte en effet ce maître dédaigneux ?
C'est de vous qu'il tire sa gloire ;
C'est de vous seule que dépend
Le respect que l'homme lui rend.
La chose est tout-à-fait notoire :
Et cependant, si nous voulons l'en croire
Vous ne feriez sans lui qu'un arbuste rampant.
Souffrirez-vous cet excès d'insolence ?
Ah! si vous vouliez ! de ce pas
Vous pourriez en tirer vengeance.
Ce Chêne, qui vous tend les bras,
De son amour pour vous m'a fait la confidence,
Croyez-moi, ne vous piquez pas
D'une ridicule constance :
Punissez son orgueil et son indifférence.
Ah ! la vengeance a tant d'appas !
Il dit et dérobant sa marche frauduleuse,
Il va joindre l'Ormeau vers une branche oiseuse
Que la Vigne n'atteignait pas,
Et lui dit : bel Ormeau ! la Vigne est bien heureuse
D'avair pu rencontrer en vous
Un si puissant et si fidèle époux.
Mais loin que votre amour la flatte ....
Ah ! si j'osais vous parler entre nous !
Mais non, vous adorez l'ingrate.
Il ne faut point troubler un sentiment si doux ;
Vous aurez tout le temps d'exercer votre haine
Lorsqu'abandonné pour ce Chêne,
Dont maintenant vous êtes peu jaloux,
Votre épouse, rompant une honorable chaîne,
Se rira dans ses bras de votre vain courroux.
Ainsi le Lierre perfide,
Entre l'Ormeau fidèle et la Vigne timide,
Semait la jalousie et la division.
Mais l'amour et la confiance
Dissipèrent l'illusion,
Et le Lierre apprit, à sa confusion,
Qu'il n'était point en sa puissance
De rompre ou d'altérer cette heureuse union.
À l'homme on découvrit sa fourbe abominable,
Et le parasite Arbrisseau,
Forcé de s'avouer coupable,
Fut arraché du jeune Ormeau,
Ainsi que de la Vigne aimable :
Et maudit par les Dieux, aux arbres exécrable,
Il en est encore le fléau.