Les deux Ormeaux Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

Sur les bords opposés d'une même rivière,
D'une diverse manière,
Croissaient à l'envi deux Ormeaux.
L'un dépouillé de ses rameaux,
Élevait dans les airs sa tige ambitieuse ;
Une serpe inhumaine autant qu'industrieuse
Le mutilait sans cesse, élaguait tous les ans.
Tous ces branchages renaissants,
Qui détournant la fève nourricière,
Arrêtaient le progrès de la branche première.
L'autre croissant de toutes parts,
Simple élève de la Nature
Qui distribuait sans égards
Dans ses rameaux divers la même nourriture,
Ne surprenait point les regards
Par la hauteur de sa stature :
Mais il avait d'autres attraits ;
Il étendait au loin sa riante verdure,
Retraite des Oiseaux, asyle des vents frais ;
Et sa tige à l'abri de son branchage épais,
Des cruels Aquilons repoussait les injures,
Tandis que le Géant mourait de ses blessures.
Qu'il en coûte pour être grand !
Nos passions sont ce branchage,
Qu'il faut sacrifier au désir dévorant
De s'élever, qui seul ne veut point de partage.
De la grandeur quel est donc l'avantage ?
Les Grands sont plus voisins des Dieux ;
Ne sont-ils pas aussi plus voisins du tonnerre ?
Ah ! demeurons plus près de terre,
Et ne nous occupons que du soin d'être heureux :
A tout sacrifier je ne puis me résoudre
Pour obtenir l'honneur de périr par la foudre...
Croissez à votre gré, mes innocents désirs,
Mes chères passions, sources de mes plaisirs ;
Mais vous avez chacune vos mérités ;
Je veux vous partager mes moments les plus doux ;
Plus de passions favorites,
Je ne veux plus souffrir de tyrans parmi vous.

Livre III, fable 30




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