Sous la feuille naissante
Un Jardinier jouissant du repos,
Avec plaisir voyait dans chaque plante
Le doux succès de ses travaux.
Des soupirs se firent entendre :
Ah ! dit-il, quels font ces accents ?
Il était seul, il ne pouvait comprendre
D'où partaient ces sons languissants.
C'était un jeune Ormeau, qui, las de sa contrainte,
Voulut enfin mieux exprimer sa plainte.
Je fais, dit-il au Jardinier,
Que tes bienfaits ont passé mon attente ;
Je te dois ma vigueur naissante
Je ne prétends pas le nier :
Ton amitié toujours constante
N'a pas cessé de veiller sur mes jours
Je fais que ta main bienfaisante
D'une onde pure qui serpente,
Pour moi souvent a détourné le cours :
Mais vois cette forêt immense,
Où chaque Ormeau jusques aux Cieux s'élance ;
Prêtant aux Arbrisseaux un généreux appui.
L'un élève sa tête altière
Sur des Chênes honteux d'être au-dessous de lui ;
L'autre, plus jeune et d'une âme aussi fière,
De ses branches atteint un rival dangereux,
L'arrête et sur son front répandant son ombrage,
Le laisse encore trop heureux
De servir de soutien à son épais feuillage.
Et moi ! quelle est ma gloire à croître dans ces lieux ?
Sur quels objets porté-je ici ma vue ?
Ai-je à combattre un Chêne ambitieux ?
J'ai pour rivaux des choux, des fleurs, une laitue :
Jamais Ormeau fut-il plus malheureux !
Pardonne et mets le comble à tes services,
Par le dernier que j'exige de toi :
Transporte-moi dans ces lieux de délices ;
J'y verrai peu d'espace entre le Ciel et moi.

Ingrat, je vais contenter ton envie,
Lui répondit le Jardinier ;
Ta place ici sera bientôt remplie
Par l'humble et soumis Alifier.
D'un ombrage fidèle
Il me paiera de mes travaux :
Toi, cours où la gloire t'appelle ;
Deviens grand, si tu peux, près des plus grands Ormeaux.

En peu de temps il le transplante.
De ce bonheur le faible Ormeau trop fier
Ne se regarde plus comme une jeune plante,
Et cherche à s'élever auprès d'un Chêne altier.
11 veut étendre son feuillage,
Que repousse le tronc de ce Chêne offensé.
Même dédain partout ; enfin il fut forcé,
Après avoir épuisé son courage,
De ramper quelque tems d'infectes dévoré ;
Et, regrettant le fort de l'Alifier plus sage,
Il mourut ignoré.

Livre I, fable 2




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