Dans le creux d'un sillon,
Qui bordait d'un trait rouge une verte prairie,
La Sauterelle, le Grillon
Allaient un jour de compagnie,
Clopin-clopant, mêlant à leur excursion
Un petit brin de causerie :
- Que je suis lasse, ami Grillon
Dit tout à coup la Sauterelle,
De piétiner dans ce sillon
Comme si je n'avais pas d'aile !
Allons-nous traverser ainsi
De ce pré l'immense étendue ?
J'ai l'habitude, Dieu merci !
Quand je vais quelque part, d'être plus tôt rendue.
Bondir, voler, voilà ma loi !
Il me suffit d'un saut. » - « Saute, saute, ma mie,
Répondit le Grillon, si telle est ton envie.
Sous le couvert des prés où je cache ma vie
En été, dans l'herbe fleurie,
Moi, j'aime mieux glisser, et je vais devant moi
Sans avair besoin de boussole !
C'est plus long, mais je me console
En pensant que je suis moins exposé que toi.
Ne va pas pour cela te gêner, camarade.
Pendant que je me traîne, attaché sur le sol,
Prends ton vol :
Nous nous retrouverons là-bas, a la cascade. -
Il dit. L'autre, à ces mots, tire de leur écrin
Deux paires de petites ailes,
Les unes faites de dentelle,
Les autres faites de satin.
- Satin rouge, dentelle blanche ! -
Et la voilà partie. Elle va bravement,
D'un premier vol, tomber sur la plus haute branche
D'une reine des prés aux panaches d'argent.
Survient un pensionnat de jeunes demoiselles
Qui s'ébattaient à travers champs.
- Tiens, quel bonheur ! des sauterelles !
Et toutes, en même temps,
Sautant, batifolant, poussant des cris de joie,
Courent dans l'herbe, autour des flaques d'eau,
À la poursuite de leur proie..
La pauvrette va, vient, fait des crochets, tournoie,
S'arrête, puis repart. Elle échappe !... Un oiseau
Qui, du haut d'un chardon, guettait quelque aventure,
Vous la happe au passage, et la porte en pâture
A sa vorace géniture.
Pendant ce temps-là, le Grillon
Arrivé sans encombre au pied de la cascade
Attendait vainement sa pauvre camarade.
Un papillon,
Qui de la Sauterelle avait vu le déboire,
Comme il passait pour aller boire,
Lui conta la tragique histoire.
Et c'est le Grillon même, ici, qui, l'an dernier,
Un soir d'hiver, à mon foyer,
Suspendit un moment sa petite musique,
Pour m'en faire à son tour le récit authentique.
- Eh bien, le croiriez-vous ? dit-il en terminant,
Le souvenir de ma petite amie
Bien souvent assombrit ma vie.
Que de fois j'ai maudit cet oiseau, ce méchant !
- Eh ! qui n'est pas méchant, hélas ! sur la Planète !
- Il est trop vrai, mais parmi vous
Il en est au moins un, vraiment bon, toujours doux,
C'est l'ami des petits, des humbles : le poète !
Quant à ma pauvre amie, elle avait un seul tort,
Que partagent, hélas ! toutes les sauterelles :
Elle était vaine de ses ailes.
Et ce sont elles
Qui furent cause de sa mort.