La Sauterelle et la Cigale Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

D'un coin de terre
Une sauterelle devint
Propriétaire.
Pour la voir, la cigale vint,
Et dit : « Bonjour, ma chère amie,
Je viens visiter ta prairie,
Qu'on dit brillante de couleurs.
— Je l'ai bien embellie,
J'y mets des fleurs, rien que des fleurs
Elles m'offrent tant de douceurs !
Et puis, mes deux amis que j'aime,
L'abeille et le doux papillon,
Y partagent ma joie extrême.
— Ali !... » fait la cigale d'un ton
Qui renferme un sens équivoque ;
Puis se tourne et sourit.
Mais l'autre, piquée au vif, dit:
« Quoi ! de mes amis l'on se moque ?
Ces procédés désobligeants...
— Bon ! à m'expliquer je consens ;
Entre nous deux, je te conseille
D'éloigner ton abeille ;
Son seul intérêt, tu le sens,
L'attire ici ; ce n'est pas jalousie
De ma part, non ; témoin le ciel,
C'est une fausse amie
Qui ne rêve là que son miel.
De fleur en fleur madame se promène,
Et du produit de ce domaine,
En cent petits transports,
Chez elle forme ses trésors.
Le papillon est un volage,
Sans amitié, sans foi,
Qui vient te sourire au passage,
Sans jamais s'occuper de toi.
— J'entends, répond la sauterelle,
Tous deux viennent ici dépenser leur loisir,
L'un a son intérêt, et l'autre son plaisir.
Dès l'aurore nouvelle,
D'un voile épais j'irai couvrir
Mon parterre modeste. »

Le lendemain, le voile est mis,
Et... ma foi... plus d'amis !...
C'est le regret qui reste...

Livre IV, fable 4




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