Les Perdreaux Léon Riffard (1829 - ?)

C'est l'heure du rappel: un suprême rayon
Dore la cime du gros chêne.
Le long du bois, dans maint sillon,
Et là-bas, au bout de la plaine,
Entre les sarrasins en fleurs
Et les longs carrés de verdure,
Betterave, luzerne - alors que les chasseurs
S'en reviennent, contant bien haut leurs aventures-
Un cri se fait entendre, aigu, bien que profond,
Une petite note enrouée et stridente.
Une note pareille aussitôt y répond ;
Puis une autre. Et le cri, dans l'ombre grandissante
Se propage. Et perdreaux, dispersés dans les champs,
De suivre en trottant les coulées,
Ou de raser la terre à petites volées,
Pour aller se blottir sous l'aile des parents.
C'est l'heure du rappel. Voici la nuit venue :
Les chaumières, les nids, tout s'endort. Il fait noir
Au ras du sol, comme en un four. Sur le manoir,
Dont l'étrange débris affecte dans la nue
La silhouette d'un bougeoir,
Scintille une flamme bleuâtre.
C'est Vesper, l'étaile du pâtre,
Qui monte, et sur cette ombre, épaisse à faire peur,
Epand de sa clarté l'ineffable douceur.

Deux perdrix cependant, au fond d'une clairière,
Seules, devisaient tristement.
Sans pouvair fermer la paupière.
Pauvres gens,
Ils avaient perdu leurs enfants !
Un faucheur sous sa blouse avait pris la nitée,
Et puis, venu le soir, il l'avait emportée,
Au village, bien loin !
Et, depuis ce malheur, isolés dans leur coin,
Sans espérance de lignage,
Ne sortant même pas pour aller au gagnage,
Ils passaient tout leur temps à se plaindre, à gémir :
« Ils doivent être grands ! S'ils allaient revenir ! »
Comme ils répétaient ces paroles
Pour la centième fois, sans y croire vraiment,
Qu'est-ce?... dans les avaines folles
On entend comme un frôlement.
L'herbe s'agite doucement
Et, s'entr'ouvrant, livre passage
A de jolis perdreaux, qui viennent tout joyeux
Se jeter dans les bras des vieux :
- C'est nous, mère, c'est nous ! nous venons du village ;
Le garde vient de nous lâcher
Dans le regain, et, sans perdre courage,
Vite on s'est mis à vous chercher.
Et nous voilà ! mais quelle chance !
- Pauvres petits, vous devez avair faim.
-? Non, avant de partir, nous avons eu du pain
Et des oeufs de fourmis. C'était bombance,
Soir et matin, là-bas, car l'on nous aimait bien,
La garde, le seigneur, et toute la famille...
On n'a jamais manqué de rien.
- Il faut dire d'abord que l'homme à la faucille
Nous avait portés au château...
- Comme c'est grand ! comme c'est beau !
Que de poules, que de pintades !...
- Les poules, bonnes camarades !
Mais les pintades nous battaient...
- Pauvres chéris ! - Alors les enfants leur jetaient
Des grêles de petites pierres...
- Et puis nous commencions à voler...
- Alors le maître a dit : faut les laisser aller
Dans le regain, près des bruyères.
Nous les retrouverons. - Le maître a dit cela ?
- Oui, père, il est si bon ! Et le garde lui-même
Tantôt, en nous quittant, nous a dit : Restez-là.
Au revoir, mes amis. Tu vois comme il nous aime !
- Hum ! il vous aime trop, grommela le vieux coq,
Et vous lui seriez bientôt hoc,
Pauvres petits sans défiance,
Si vos parents n'étaient pas là.
Ils n'avaient pas prévu cela,
Ces' maîtres généreux, éleveurs de l'enfance,
Qui ne veillaient ainsi sur vous
Que pour se procurer l'aimable jouissance
De vous voir périr sous leurs coups.
Quel calcul ! quelle perfidie !
Tant il est vrai que dans la vie
Il est souvent tel bienfaiteur,
Dont il est sage d'avair peur. -
Et là-dessus, sans tambour ni trompette,
Se défia le gentil bataillon
Tous à la queue-leu-leu, par un petit layon
Qui mène au fond des bois, la plus sûre cachette.
Conteur aimé, conteur aimable,
Qui, de votre plume adorable,
Avez peint, en un frais tableau,
Les infortunes d'un perdreau
Ce récit, non moins véridique,
Vous est dû naturellement,
Et doublement.
Car c'est un détail authentique
Que votre Perdreau rouge, aujourd'hui si fameux !
Sauvé par un ancien le jour de l'ouverture,
N'est autre que mon coq, qui fut assez heureux,
Pour sauver à son tour sa chère géniture,
Dont je vous ai dit l'aventure.
Et puis j'ai connu Tartarin !...
Comme vous, comme tout le monde.
Au doux pays du tambourin,
Dans les sentiers du grès, bordés de romarin,
Que de fois je l'ai vu qui conduisait la ronde !
Car ce n'était pas un sans-cœur
Ce Tartarin, ne vous déplaise,
Et jamais il n'avait eu peur,
Pas plus devant un bœuf, que devant une Arlaise.
En abordant au rivage africain,
Travaillé d'un projet sublime.
Certe ! il ne doutait pas qu'une noble victime,
Digne de son cœur magnanime,
Ne vînt, à point nommé, lui tomber sous la main,
Issue exprès des bois, du ravin, de l'abîme !
Ce n'est pas sur l'effet, mais sur l'intention
Qu'il faut juger toute action.
Embusqué bravement... non loin d'un bastion,
Il pensait au trappeur perdu dans la Savane,
Au monstre, dont la voix glace la caravane !
Le monstre ne vint pas : il n'aperçut qu'un âne,
Mais il attendait un lion.
Et voilà pourquoi, mon cher maître,
Nous qu'un dieu bénin a fait naître
Sous ce noble ciel provençal,
Comme Thiers, et comme Mistral,
Nous aimons tant cette Provence ;
Et qu'en elle nous nous aimons,
Et qu'en elle mieux nous sentons
Battre le cœur de notre France.
Oui, devant ses tableaux, devant ses horizons,
Toujours nets, toujours purs, en dépit des saisons,
Nous portons tous en nous ce signe :
L'aversion du laid, de l'obscur, du banal.
Peintres, littérateurs, tous, chasseurs d'idéal,
Nous avons la même consigne :
Attendre le lion, dédaigner le chacal.

ENVOI

Réservez, maître, un doux accueil
A cet humble petit recueil,
Qui, comme neige, a fait la boule.
C'est au pays de Tartarin,
Loin de la foule,
Que je l'ai cueilli brin à brin,
Comme un bouquet de férigoule.

Livre IV, Fable 1




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