Aux premiers jours de notre Terre
Les éléments étaient en guerre :
La Pluie et le Soleil ne pouvaient se souffrir.
Où l'un versait les flots de sa chaude lumière,
L'autre se refusait. Condamnée à périr,
L'herbe séchait sur pied ; la brebis haletante
Se traînait le long des forêts !
Pas un coin vert dans les guérets,
Pas une goutte d'eau sous l'algue croupissante,
Pas un nuage au ciel !
L'abeille ne savait où butiner son miel ;
Et partout s'arrêtait, languissante et flétrie,
La vie.
Le climat toujours pluvieux,
Par contre, ne valait pas mieux;
Sur un ciel bas, voilé de brumes grises,
Des silhouettes indécises
Se montraient à travers les hachures de l'eau
Qui noyait, en tombant, tous les plans du tableau.
Les champs étaient déserts... A peine sur les cimes
S'allumait çà-et-là quelque pâle lueur,
Et deux sombres Esprits, le Silence et la Peur,
Flottaient au-dessus des abîmes.
Tout eût péri, si, par hasard,
- Le hasard ou la Providence :
La notion de Dieu vaut bien le mot de chance -
Un rayon de Soleil, qui vibrait comme un dard,
Echappé du carquois immense,
N'eût traversé de part en part
La couche épaisse de nuages
Dont la Pluie autour d'elle avait fait un rempart,
Afin de régner seule en ces tristes parages.
D'abord ce fut un grand courroux !
Mais quand, au milieu de son ombre,
Elle vit, la déesse sombre,
Venir, en se jouant, si plaisant et si doux,
Cet aimable rayon, enfant de la lumière,
Elle sentit mollir et fondre sa colère.
- Eh bien non ! ne l'éteignons pas,
Dit-elle en lui tendant les bras,
Je suis glacée !... il est des jours où je m'ennuie,
Moi, la Pluie !
Viens donc, viens, ô joli rayon !
Décidément le soleil a du bon.
Pendant le même temps, grâce au remue-ménage
Que le nouveau venu faisait sur son passage,
Trouant et bousculant les brouillards, les vapeurs,
Qu'il pénétrait soudain des plus vives lueurs,
Il arriva qu'un gros nuage
Bien noir, bien lourd, bien gonflé d'eau,
Détaché par le vent, fut poussé vers la plage
Où l'astre du jour faisait rage.
Pour ces pays brûlés, quel spectacle nouveau !
Phoebus, en le voyant, ne se sentit pas d'aise :
Depuis longtemps,
Peut-être cinq à six mille ans,
Il avait soif. Sa gorge était comme une braise
Qui flambe au fond d'une fournaise.
De ses propres ardeurs il subissait l'effet.
Aussi du bout des doigts, saisissant au passage
Le nuage,
Il l'avala comme un sorbet,
Disant : mais c'est vraiment dommage
Que la Pluie habite si loin.
Va, Mercure, mon bon, porte lui ce message...
La paix fut bientôt faite, et depuis ce beau jour
Les rayons, les ondées,
Tour à tour,
Sur nos campagnes fécondées
Versent, à qui mieux mieux, l'abondance et l'amour.
Tantôt c'est le Soleil et tantôt c'est la Pluie.
Parfois même on les voit se jouer dans les cieux
Ensemble : doux ébats aux moissons précieux !
La déesse y répand des pleurs délicieux,
Et le dieu, d'un baiser, eh riant, les essuie.
Le développement de ce vaste univers
N'offre pas une antinomie
D'où ne résulte une harmonie.
L'homme est, comme dit l'autre, ondoyant et divers.
La Nature
D'attributs différents dota sa créature :
L'imagination, les sens, la volonté.
Que si nous les laissons en pleine liberté,
La bride sur le cou, trotter à l'aventure,
C'est fait de nous, la chose est sûre.
A tout prix, imposons à leur diversité
L'équilibre, qui fait la force et l'unité
Et la santé.
Au fond, ce n'est, en vérité,
Qu'une question de mesure.