Le Parapluie et la Canne Henry Macqueron (1851 - 1888)

Oublié derrière une porte,
Un Parapluie un jour se plaignait de la sorte :
« Triste destin que servir des ingrats !
Lorsque mon maître tout à l'heure
Avec son habit neuf sortit de sa demeure,
Il me fit un sourire et me prit sous son bras,
L’orage le surprend au milieu de sa route.
Moi de m’étendre et de le préserver
D’un terrible torrent dont il ne reçoit goutte.
Mais à présent qu’est passé le danger,
Et que là-haut le gai rayon qui perce
D’un temps meilleur lui rend l’espoir,
Le voila qui s’en va dédaignant de me voir.
Et je grelotte, engourdi par l’averse !
Dans le coin d’une porte ! Ah! que ce bon soleil
Aurait réconforté ma pauvre aile mouillée ! »
Une Canne l’ouït, qui, de même oubliée,
Pour prix de longs labeurs éprouvait sort pareil,
« Crois-tu, dit-elle au Parapluie,
Que tu sois seul à pleurer tel malheur ?
Nous pouvons bien, mon cher, pleurer de compagnie.
S’étant blessé le pied, un gros et vieux seigneur
Me prit jadis à son service,
Et de jambe longtemps pour lui je fis l’office.
Oh! quelle masse à soutenir !
Que de fois en un jour je ployai fatiguée !
Ah! mon Dieu! j’ai craqué rien qu’à m’en souvenir.
Puis, mon maître guéri, l’on me laissa languir,
Pourrir, manger aux vers, en ce coin reléguée,
Un jour n’ont-ils pas dit : « Ça, c’est bon pour le feu ! »
Mais sans doute au brasier je fournirais si peu
Que cela me sauva la vie.
Va, mon frère le Parapluie,
Le prix de tes bienfaits, ne le cherche qu’en toi !
Car c’est une commune loi :
Quand on n’a plus besoin des gens, on les oublie. »

Fable 43




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