La Règle et le Crayon Henry Macqueron (1851 - 1888)

Traçant sur son papier le plan d'une maison,
Un constructeur d'édifice
Employait à son service
La Règle avec le Crayon.
Entre ces deux personnages,
Si divers par leurs usages,
Il s'émut incontinent
Un démêlé violent.
C'est que leur cause aussi ne prêtait pas à rire.
Il s'agissant entre eux des services rendus,
Des rangs qui leur étaient dus.
« Je mérite le prix, et vous avez beau dire,
S'écriait le Crayon d'un ton rempli de feu.
Ma chère, voyons un peu :
Que feriez-vous sans moi, sans ma tête qui trace ?
Comme un simple bout de bois
Vous resteriez bout de bois
Vous resteriez sur la place.
- Et moi, répond la Règle, en vérité je crois
Que réduit à vous seul vous feriez du prodige !
Je suis bous de bois, soit ; mais vois qui vous dirige.
Et que sauriez-vous donc faire sans mon appui ?
Du gribouillis tout noir, indéchiffrables signes.
- Je vous trouve vraiment fort plaisante aujourd'hui !
Reprend le traceur de lignes.
Tout esprit mis à l'endroit
Conviendra qu'en notre cause
Le seul point important, c'est marquer quelque chose.
- L'important c'est d'aller droit.
- Pourquoi, je tiens ma cause si certaine
Que j'en appelle à la justice humaine.
- Et moi, mon cher, j'invoque la raison.
- Je gagnerai. - C'st faux ! - Parbleu, si ! - Morbleu, non !
Mais l'architecte alors : « Vous me fendez la tête ! »
Dit-il aux deux rivaux. Votre querelle est bête.
Pour prouver son mérite, à quoi sert de crier ?
Sur ma feuille de papier
Qu'à travailler tout seul chacun de vous s'apprête.
Je serai, je vous promets,
Entre vous juge équitable.
Allez en liberté. Commencez donc ! Eh mais !
Comme deux sots vous restez sur la table. »

Fable 45




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