La Passion, la Règle et le Rossignol Alexis Rousset (1799 - 1885)

Les champs avaient reverdi ;
Le sol, longtemps refroidi,
Se couvrait partout de mousse.
Déjà chantait le grillon ;
Une atmosphère plus douce
Rendait l'être au papillon ;
Tout bourgeonnait. Un vert tendre
Ornait forêts et buissons,
Et l'oiseau faisait comprendre
Son bonheur par ses chansons.

Seul, au milieu de la nature,
Un rossignol était muet.
C'était, je crois, faiblesse pure.
Il était tout jeune et fluet ;
Il avait peu d'esprit peut-être,
Manquait d'imagination.
Tout-à-coup vinrent à paraître
La Règle avec la Passion,
Parcourant le monde en touristes,
Mais à tout propos disputant,
Ces deux divinités étant,
Par leur nature, antagonistes.
La Règle vit le rossignol :
Pourquoi ne point chanter, dit-elle ?
Allons, commence en si bémol ;
Chante la verdure nouvelle ;
Chante tes prochaines amours. —
Je ne saurais comment m'y prendre,
Dit le pauvre oiseau. Va toujours. -
- Le moyen de me faire entendre ?
Je n'ai jamais pris de leçons.
- Eh bien ! je consens à t'apprendre
A chanter, à filer les sons. -
Et la Règle se fait maîtresse
De chant. La Passion se repose et les laisse
Tout à leur aise étudier,
Faire des gammes chromatiques,
Vocaliser et solfier.
Mais, malgré les leçons pratiques
De la Règle, notre écolier
Ne se change point en Orphée ;
Il est sans nerf. Tout échauffée,
La Règle, y perdant son latin,
Donne au diable élève et destin.
La Passion leur dit : - C'est à mon tour, je gage
D'obtenir un prompt avantage.
Elle approche du Rossignol
Et lui souffle un peu de son âme.
L'oiseau, tout surpris, prend son vol ;
Puis il revient, l'œil plein de flamme ;
Il module quelques accents,
Et, plus sûr de sa force, il prélude et se lance.
Le voilà chantre du printemps ;
· Il poursuit, finit, recommence ;
Il chante les bois et les champs,
Les plaisirs, les maux d'un cœur tendre,
L'espoir, la crainte, le bonheur ;
Il charme l'oreille et le cœur,
Et l'écho se tait pour l'entendre.
On vient en foule des forêts,
Des rochers et des airs, pour l'écouter de près.
On vit même planer un aigle.

La Passion en sait un peu plus que la Règle.

Livre II, fable 16




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