Le Soleil et la Pluie Augusta Coupey (1838 - 1913)

Dans un jardin de l’Italie
Le Soleil rencontra la Pluie.
C’était en mars ; mois où, dit-on,
Le diable bat sa femme à grands coups de bâton.
Qu’il la frappe s’il veut avec toute sa force,
Je ne mets pas mon doigt entre l’arbre et l’écorce.
Aux naïfs trop en cuit d’accorder les époux,
C’est contre eux que toujours se retournent leurs coups.

Reparlons du Soleil. Phébus, d’humeur morose,
Dardait le chaud rayon qui fait fleurir la rose ;
Et peu poli, sans saluer,
Derrière un gros nuage il allait s’éclipser.
— Vous vous sauvez ? lui dit la Pluie.
— N’êtes-vous pas mon ennemie ?
— N’en croyez rien, je vous en prie,
Insista-t-elle aimablement.
Phébus reprit maussadement :
N’en rien croire est bien dissicile
Quand vous noyez
Vous perdez
Les moissons dans les champs, les toilettes en ville.
— Monsieur ! vous me calomniez.
— Madame vous rendez toute terre infertile.
Sauf les canards,
Les citernes, les épinards,
Et les marchands de parapluies,
Qui donc jamais souffrent les pluies ?
— Beau conducteur de phaéton
Si vous le prenez sur ce ton
Je vais répondre à vos querelles,
Qu’excepté les marchands d’ombrelles
On en a vite assez de vous !
Cria la naïade en courroux.
— Assez de moi ? vous voulez rire.
— Non, c’est bien ce que je veux dire :
Lorsque vos ardents feux jaloux
Brûlent le sol et la pâture,
En doléance est la nature,
Les peuples tombent à genoux,

Demandant au Dieu de la terre
D’éloigner d’eux votre lumière,
Et de me ramener rafraîchir l’atmosphère…
— Que contez-vous là ma commère ?
J’ai vu les peuples à genoux,
Implorer avec des cris sous ;
Du soleil pour leurs prés, pour leurs bois, pour leurs plaines.
Ils nourrissaient pour vous la plus franche des haines ;
Leur donnez-vous pas des douleurs ?
Ne pourrissez-vous pas leurs-fleurs ?
— Et vous Phébus, avec vos sécheresses,
Qui détruisent l’été leurs biens et leurs richesses,
Pensez-vous tant les contenter ?
Phébus ne sut quoi riposter.
Il lui tourna le dos, argument qu’on oppose
Aux gens victorieux lorsque l’on perd sa cause.

Avant d’aller traiter le prochain de pervers,
Examinez s’il peut attaquer vos travers.

Livre IV, Fable 14




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