Le Persan, le Soleil et le Nuage John Gay (1685 - 1732)

Voyons-nous un poète au sublime génie
Répandre dans ses vers des torrents d'harmonie ?
L'envie est là qui de ses nœuds
Vient enlacer ses vers nerveux,
Déchiquetant l'hémistiche et l'idée,
Et déchaînant contre eux les fureurs de Médée.
Ils sifflent ses serpents, se gonflent de venin,
Et des Frérons du jour la troupe mercenaire
Dans maint article clandestin
D'user contre eux tout leur vocabulaire.
La renommée est née . . . Un Zoïle la suit,
De la lumière ainsi nait l'ombre... et puis la nuit.

Humblement baissant sa paupière,
Un Persan prosterné devant le Dieu de jour
Ainsi commença sa prière :

"Soleil ! toi qui vois tout ! Père de la lumière,
Rayon fécond de charité, d'amour,
D'où découlent les dons par Dieu faits à la terre,
Reçois mes vœux, bénis et l'année et mes champs ! "
Un nuage offusqué de ces nobles accents
Couvrit le ciel de soudaines ténèbres,
Et boursoufflé d'orgueil de ses voiles funèbres,
Laissa tomber ces mots du haut de son dédain :

"Mortel, rengaine ton quatrain :
Il est bien fort ce Dieu que moi je puis détruire
Selon mon bon plaisir, en l'empêchant de luire ?
A moi, petit, à moi désormais ton encens,
On ne doit pas, mon cher, hommage aux impuissants."

Le Persan tout ému, dans l'ardeur de son zèle,
Ainsi vengea le Dieu du nuage rebelle :

"C'est le Dieu que j'invoque, auquel j'offre mon cœur,
Qui ta donné naissance, à toi, vil imposteur ;
En t'élevant si haut sa grandeur se dévoile,
Et quand sur ses rayons toi, tu jettes un voile
Pour l'obscurcir, -toi seul te fais du tort,
On voit ta contexture et l'on prévoit ton sort :
Un coup de vent, un misérable souffle,
Te dissipe et t'éteint maroufle ! "

Il achevait, -Alors qu'un coup de vent
Ballota le nuage, en purgea l'atmosphère :
Le soleil reparut-Le mérite souvent
Triomphe de l'envie , et l'oblige à se taire.

Livre I, fable 28




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