Un Renard au déclin d'une longue carrière
Gisait faible, malade, épuisé, moribond,
L'âge avait dessoudé de ses dents la charnière,
L'appétit lui faisait faux bond.
Sa race en attendant ses volontés dernières,
Nombreuse, se tenait près de lui . Le mourant
Avec effort se mit sur son séant,
Et bientôt de ses mâchelières
Il sortit en geignant cette triste oraison :
"Ah ! mes fils, mes cher fils, écoutez la raison,
Voyez mon cœur gémit sous le poids de mes crimes.
Oui, je vous reconnais trop nombreuses victimes,
Poules et Coqs vous demandez vos fils
Par ma dent meurtrière à vous jadis ravis ;
Et vous aussi, vous qui fûtes mes joies,
Dindons saignants fuyez ! .. fuyez sanglantes Oies ! "
Les Renards affamés cherchent de tous leurs yeux :
"Où sont- ils donc, Papa, ces mets délicieux ?
Avez-vous donc perdu la boule ?
Nous ne voyons ici Coq, ni Dindon, ni Poule,
Aucun de ces friands morceaux
Que vous voyez de votre couche,
L'eau nous en vient cependant à la bouche !"
"Mettez une sourdine à ces désirs brutaux :
Un jour, souffrez qu'un père vous le dise,
Vous paierez chèrement si sotte gourmandise,
Quand le remords viendra vous tirailler d'en haut ;
Et que plus ne pourrez mettre chiens en défaut :
Voyez pièges, fusils partout, sur votre trace
Sont là pour décimer sans pitié notre race ?
Les voleurs, mes chers fils, ne sont jamais heureux,
Ils sont toujours traqués par la police ;
Réformez-vous, devenez vertueux,
Et fuyez l'école du vice.
Attachez-vous à gagner bon renom,
A rendre enfin honnête notre nom !"
"Votre conseil est bon, il est vraiment d'un sage, "
Répondit un Renard, " mais las ! c'est bien dommage
Que nous ne puissions pas le suivre, cher papa ;
Dans l'histoire de nos ancêtres,
Une vérité me frappa :
C'est, qu'entre nous, toujours ce furent de vieux reîtres,
De père en fils enfin nous sommes des voleurs,
Comme tels signalés aux humaines fureurs.
Fussions-nous innocents ainsi que brebis blanche
Depuis lundi jusqu'à dimanche,
Brouterions-nous l'herbe et le thym
Sans arrière pensée, et du soir au matin,
Que si juchoir était la nuit par aventure
Dévalisé, j'en suis certain,
Nous serions accusés d'avoir commis l'injure,
Et d'avoir pris part au festin.
Quand bon renom se perd, adieu la bonhomie,
Ni ni, c'est fini, ne se rattrape mie ! "
"Puisqu'il en est ainsi, reprend le vieux Renard,
(Chût ! j'entends, je le crois un gloussement de poule)
Allez, chassez la sans retard,
Mais soyez modérés et qu'aucun ne se soûle ;
Il se pourrait d'ailleurs, c'est un cas médical
Qu'un tout jeune poulet ne me fit pas de mal."