Le Malade et l'Ange John Gay (1685 - 1732)

"N'y a-t-il plus d'espoir ? " grommela le Malade,
Le docteur fit un signe, et puis d'un air maussade
Il prit congé, désespérant du gain
Du lendemain.

Alors notre homme :
"Puisqu'il nous faut partir, " se dit-il à part soi ,
66 Voyons donc comme
J'ai su mener ma barque et fait parler de moi.
J'ai pris, je le veux bien, j'ai pris dans mon commerce
Part du Lion souventefois,
Mais au total au métier qu'il exerce
Chacun en fait autant, marchands et gens de lois,
Et ce n'est pas péché que gagner sa pitance.
Le peu que j'ai se trouve augmenté d'importance
Par de bonnes sécurités.
Que si, sans y songer, en me rendant justice
J'ai dû laisser Thémis au gré de son caprice
Traquer mes débiteurs . . . A ces extrémités
Je fus réduit par leur foi subreptice. . . .
Et si quelquefois les recors
Ont exercé contr'eux la contrainte par corps,
Bah! ce sont des misères !
Mon testament me vaudra des prières .
Et quand je serai mort,
Que tous mes legs pieux par le ciel et la terre
Seront lus et relus, on verra si j'ai tort
De m'applaudir de ma longue carrière."

Survint un Ange. " Ami ! " s'écria- t-il,
"Laisse-là de côté toute fausse espérance.
Il est temps de faire ton bil,
De tes crimes le bien solde-t-il la balance ?
Quelle est la veuve, ou quel est l'orphelin
Qui font des vœux pour prolonger ta vie ?
Une bonne action est là dans ton chemin,
Saisis là, tiens, tout t'en convie,
Prouve ici la sincérité
De ta pieuse charité :
Voyons, donne à l'instant à ton voisin cent livres,
Il est bien malheureux, soudain tu le délivres
Et du besoin, et de ses embarras."
"Pourquoi tant se presser ?" a dit notre malade,
Vraiment on ne sait ici bas
Quand nous emporte la camarde.
Qui peut oser sonder les lois de l'avenir,
Ne puis-je pas en revenir ?
Et d'ailleurs cette somme et d'autres en vedette
Se trouvent dans mon testament."

"Imbécile !" a dit l'Ange, " il est clair maintenant,
Que ta vie et ton âme étaient dans ta cassette,
Que ton seul Dieu, c'était l'argent.
Misérable !... sur l'indigent
Tu n'as pas craint de faire bénéfice,
Et tu crois expier ce vice
En donnant à ta mort ce qui n'est pas à toi ?
Pourquoi tant se presser ? Il existe ma foi !
Pendant qu'il y a vie un reste d'espérance. "
Il dit : un long soupir finit son existence.

Livre I, fable 27




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