Sur le corps d'un Villageois
L'affreuse Paralysie
De sa main appesantie
Laissait tomber tout le poids.
Malgré la Pharmacopée
Qui redoublait ses terreurs,
Il éprouvait les horreurs
D'une mort anticipée :
Par degrés au noir bercail
Lycas se voyait descendre,
Et sans pouvoir s'en défendre,
Il expirait en détail.
Sentant que la Liturgie
Des Dieux de la Faculté
Ne rendait point la santé,
Il implora la Magie.
Eh que n'a-t-on point tenté
Pour chasser la maladie ?
Demain, lui dit Canidie,
Quand le Coq aura chanté,
Va sur la tombe arrosée
D'un humain chéri des Cieux,
Et reçois-y la rosée,
Ce puissant bienfait des Dieux,
En faveur d'une Ombre pie,
Ils soulageront tes maux,
Et dans le sein des Tombeau
Tu retrouveras la vie.

Qui ne connaît le pouvoir
De la crainte et de l'espoir ?
Lycas en crut la sorcière ;
Et des le Soleil Levant
Il fut dans un Cimetière
De son cadavre vivant
Traîner la dépouille entière.
Il y voit en arrivant
Un superbe Mausolée,
La Vertu même voilée
Gémissant sur un cercueil :
Les Grâces portaient le deuil,
Et les Amours en alarmes
Tenaient un casque et des armes
Qu'ils semblaient baigner de pleurs.
Et par un travail de Fées,
Jusqu'aux plus brillants Trophées
Tout respirait les douleurs.
Le ciseau de Praxitèle
Avait su graver encor
Sur le Marbre en lettres d'or
Cette Epitaphe immortelle.

Cy git très-haut et très puissant Seigneur

ILLUSTRISSIME
M. M.
N. N. N. N. N.

Prince, Conte, Baron, Viceroi, Gouverneur,
Très beau, très grand, très bon, possédant en partage
Les qualités du corps, de l'esprit et du cœur,
Des dons des plus parfaits très parfait assemblage !
Vainqueur toujours humain ! Vertueux à la Cour !
Sa valeur égalait sa piété profonde !
Seul il fut à la fois la merveille, l'amour,
La gloire, la terreur et l'exemple du monde,
En lisant ces mots pompeux,
Le Malade tout joyeux
Promet plus d'une Hécatombe ;
Un Dieu, dit-il, par la main,
Tout réparer mon destin,
M'a conduit sur cette Tombe.
Mais il y recueille en vain
Les pleurs de la jeune Aurore
Il ne peut trouver la fin
Du tourment oui le dévore.
Lycas gémit et déplore
Ces monuments où l'Orgueil
Triomphant de la Mort même
Fait dans la nuit du cercueil
Briller la grandeur suprême.

Se retirant à l'écart,
Il aperçoit par hasard
Une simple Sépulture,
Aride et trille monceau ,
Et quelques brins de verdure,
Dont h regret la Nature
Environnait un Tombeau.
Là, notre Paralytique
Résolu de tout tenter,
De cette ressource unique
Songe encore â profiter.
Que l'on juge de sa joie !
11 sent renaître son corps ;
Le Sentiment s'y déploie,
En ranime les ressorts,
Et va réveiller la Vie
Dans des membres demi-morts.
Aussitôt il se récrie
Eh quoi nulle inscription
Ne peut m'apprendre le nom
De cet humain que j'implore !
Dieux, que ne lui dols-je pas ?
Et dans l'ombre du trépas
Il est bienfaisant encore !
Mes mains à chaque Printemps
Des prémices de nos champs
Orneront sa Sépulture,
Sur un Autel de verdure
Les fleurs seront mon encens.
Mais j'aperçois un Druide,
Ah , de grâce, dites-moi >
Quelle Ombre en ces lieux réside ?
Il recule avec effroi :
Craignez la foudre céleste,
Fuyez le Tombeau funeste
D'un mortel audacieux.
Dans le séjour du Tonnerre
Ses regards portaient l'Équerre,
Son esprit plus orgueilleux
Dans ses erreurs insensées
Soumettait à ses pensées
Les décrets même des Dieux,
Sa misère vagabonde
Se plaisait loin des Cités,
Et cet ennemi du Monde
Cherchait les bois écartés.
C'était un homme à système,
Son nom.... J'en frémis déjà !
Il faisait des Opéra,
Son nom serait un blasphème.

Livre II, fable 8




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