Le Père et Jupiter John Gay (1685 - 1732)

L'Homme à Jupin présenta sa requête.
"Je voudrais bien une femme," dit-il.
Jupin pensa : rien ne l'arrête
Prendre un bonheur si volatil !

Accordé cependant ! Et notre homme prend femme.
Mais il lui faut des héritiers ;
Pour les avoir au ciel monte sa gamme.
D'un signe qui dit : "Volontiers !"
Jupin a répondu. Deux garçons, une fille
Première qualité, constituent sa famille.

Toutefois, maintenant il devient inquiet,
Comment pourvoira-t-il ses enfants ? La fortune
Lui parait un fort bon acquêt,
Le Pouvoir, la Beauté, ne feraient pas lacune.
Le voilà de nouveau s'adressant à Jupin.
"Mes rejetons prends les sous ton égide,"
Dit-il au Dieu, " fais-leur brillant destin,
A mon aîné souffle ardeur intrépide
Pour la fortune, il fera son chemin.
Puis à mon second fils fais voir le Capitole,
Excite son ambition,
Et que des courtisans il devienne l'idole :
D'invincible séduction
Arme les traits si doux de ma charmante fille,
Et tu seras béni du père de famille."

Jupin sourit ; et puis accède à tous ces vœux.

Avare au fond du cœur, l'ainé fut malheureux.
A grand renfort d'inquiétudes,
Il employa ses aptitudes,
Versé dans l'art du grippe- sou
A mettre gain sur gain, or sur or, sou sur sou.
Il n'éprouva jamais la moindre jouissance ;
Se croyant pauvre il vécut d'abstinence ;
Puis un beau jour, n'osant manger, mourut de faim.

Le second pourchassa le Pouvoir, et les Places,
Et tout d'abord mena grand train ;
Puis de disgrâces en disgrâces
Il tomba comme Icare-eut aussi triste fin.

Et voyons quel sort eut la fille :

Belle, coquette et vaine, elle eut un beau moment,
Prenant l'un, boudant l'autre, et de tous se moquant,
Si bien que de fil en aiguille
Elle mourut sans un amant.

Cependant quand Jupin vit le chagrin du Père,
Qu'il le vit maudissant et le ciel et le sort,
Le Dieu lui dit, mais sans colère :
"Dans vos vœux insensés, homme gît le seul tort :
Vous jugez tous par l'apparence ;
Et du bonheur, et du malheur,
Du bien et du mal l'ignorance
Vous défend d'usurper le pouvoir Créateur ;
Recherchez la vertu. Là seul est le bonheur ;
Les détails laissez-les à notre Providence."

Livre I, fable 39




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