La science, en ces temps, fait des progrès magiques
On devine le cours des astres radieux
Et les secrets géologiques ;
Les hommes deviennent des dieux
Et les dieux d’autrefois deviennent des fétiches
Bons à mettre sur les corniches
Comme des objets curieux.
Le mystère, pour nous, n’est plus mystérieux.
Le son est pris au vol ; il est mis en réserve,
Sur l’étain,
Pour le siècle le plus lointain.
La table parle et danse, et le savant observe
Aujourd’hui
Un monde tout nouveau qui grouille autour de lui.
L’homme enfin devine
Son humble origine,
Si l’on en croit Darwin,
Et n’a plus raison d’être vain.
Que dis-je ? le progrès est acclamé des bêtes
Et fait lever toutes les têtes.
On s’est mis à l’étude avec avidité,
Et bientôt, on l’espère,
Le fauve en son repaire,
Rougissant de sa nudité,
Se couvrira d’habits modestes,
Mais toujours nos modistes lestes,
Afin de ménager une étoffe de prix
Aux maris,
Des femmes avec art montreront les épaules.
Le monde est mesuré jusques à ses deux pôles,
Et ses vastes dimensions,
Pour certaines ambitions,
Sont trop étroites.
Mais qu’est donc tout cela devant les beaux discours
Et les prétentions adroites
De quelques singes de nos jours ?
Ce fut sur la terre d’Afrique,
Sous de superbes cocotiers,
Que ces singes de tous métiers
Tinrent leur congrès historique.
Voulaient-ils nous parodier
Et se vêtir aussi de linge ?
Non ; ils voulaient étudier
L’origine du Singe.
Les philosophes, les penseurs,
Les savants, les naturalistes,
Les antiquaires, les censeurs,
Les poètes, les cabalistes
Y débitèrent gravement
Les pages les plus étonnantes.
Mais un scandale énorme eut lieu soudainement,
Quand plusieurs, de leurs voix tonnantes,
Affirmèrent enfin
En toute conscience,
Au nom de la science,
Que le singe si fin
Descend, en somme,
D’un animal qu’on appelle homme.
Les singes sont jaloux. Des propos hasardeux
Blessent leur amour propre et les rendent féroces ;
Et nous, nous goberions les bêtises atroces
D’un savant qui nous dit que nous descendons d’eux ?