La Lyre d’Orphée et les Singes Alexis Piron (1689 - 1773)

O siècle unique, âge heureux,
Temps où des déserts affreux,
Orphée aux sons de sa lyre
Chassait l’horreur et l’ennui !
Hormis l’envieux satyre,
Tout accourait près de lui :
Tigres, lions, volatile,
Amphibie, aigle, reptile,
C’est à qui veut approcher.
L’arbre même et le rocher,
D’une musique si belle
Se laissant aussi toucher,
Comme eux voulurent marcher;
Et des prisons de Cybèle
Surent, dit-on, s’arracher.
L’être aussi le moins sensible,
Le monstre le plus terrible
Fut attendri, fut changé;
Il ne resta d’inflexible
Que le beau sexe outragé.
Demandez-vous quel outrage
Lui faisait le personnage?
Junon pour un pareil train,
(Je n’en dis pas davantage
Dans le fond de son courage,
La garda bonne à Jupin.
Au fait : tout long verbiage
Sent le moderne écrivain.

De bacchantes un essaim,
Sur le criminel Orphée
Tombe et fond le thyrse en main.
De vin la bande échauffée,
De l’amour ultramontain
Massacra le coryphée.
Mille ont mérité sa fin :
Nul ne mérita sa gloire.
L’exécution soudain
Licencia l’auditoire.
Il se dispersait déjà,
Quand un singe s’écria :
Eh ! ne bougez, troupe agreste !
Ce qui vous charmait nous reste;
C’est sa lyre, et la voilà.
Ce jeu qui rend si célèbre,
N’est rien moins que de l’algèbre;
Je gage y briller aussi ;
Je regardais faire : ainsi
Qu’on demeure, et qu’on m’écoute :
J’ai des doigts, et, Dieu merci,
Singe aux doigts n’a pas la goutte.
Singe à ces mots d’écorcher
L’oreille à la compagnie :
Oreilles de se boucher.
Un autre singe gaucher
Prend la lyre et la manie :
Nouvelle cacophonie !
Magots de se l’arracher,
Rossignols de dénicher.
L’ours, de sa grâce légère,
Mon bel ami l’ours s’ingère
De soutenir le parti :
Les hurlemens de Mégère
Manquent au charivari.
Lors, ce n’est plus que ce cri
Par les bois, l’air et la plaine :
O pauvre Orphée !
Et qui lit Les fables nouvelles, dit :
O pauvre Jean La Fontaine!





Commentaires