Le Roitelet Alexis Piron (1689 - 1773)

Il parut aux oiseaux qu’ils vivraient plus à l’aise
S’ils en choisissaient un qui régnât sur eux tous.
Les bêtes, ne leur en déplaise,
N’ont pas eu quelquefois plus de raison que nous.
Restait à convenir qui d’entre eux serait digne
De donner aux autres la loi :
C’est le nœud gordien; chaque oiseau dit : c’est moi.
S’il ne se nomme, il se désigne.
L’aigle adjuge le sceptre au vol :
Moi, je le donne au chant, disait le rossignol :
Le merle royalise à hauts cris la finesse;
Le Vautour l’appétit; le corbeau la vieillesse;
Et le duc les airs insolens.
Le moineau-franc enfin vante aussi des talens
Assez rares dans leur espèce.
C’est comme ici-bas, bonnes gens:
Chacun définit le mérite
Par sa qualité propre, ou du moins favorite.
Le petit le dispute au grand, et n’a pas tort:
Car les grands ont toujours la rapine en parlage.
Mais il fallut se rendre à l’avis du plus fort.
Si ce n’est l’ordre, c’est l’usage.
L’aigle opina donc en ces mots :
C’est l’aile qui nous fait oiseaux;
Déployons la mienne et les vôtres!
Voyons qui vole le plus haut :
Celui-là sera roi des autres. Il dit : tout s’envole aussitôt.
L’aigle fend l’air, perce la nue;
Et les voyant loin dessous soi,
Il brave la faible cohue :
Qui maintenant, dit-il, doit être votre roi ?
Le roitelet caché sous l’aile appesantie
De l’aigle, s’élance et s’écrie :
C’est moi.

Force, talens, vertu, sagesse
Ne servent guère, il en faut convenir.
Du prix qu’il devrait obtenir.
Le mérite est exclu sans cesse.
Joindre l’impudence à l’adresse,
Est le moyen d’y parvenir.





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