Que je plains votre destinée!
Disait la linotte au hibou.
Le jour, au fond de quelque trou,
La nuit, sur quelque cheminée :
C’est vivre comme un loup-garou:
Votre voix est de triste augure,
Votre plumage est laid; laide est votre figure.
Le compliment n’est pas poli ;
Mais quoi! c’est la vérité pure.
Vous n’êtes ni beau, ni joli,
Aussi vivez-vous en ermite,
Et ne vous faites point d’ami :
Loin de là, chacun vous évite;
C’est là n’exister qu’à demi.
Avez-vous tout dit, péronnelle?
Repart le misanthrope oiseau :
Voilà de nos gens sans cervelle!
Je ne sors que de nuit !
j’en crains moins le réseau :
Marque de ma prudence extrême!
La sûreté dans l’ombre a choisi son séjour.
Les dangers suivent le grand jour;
Je le hais, malheur à qui l’aime!
Je chante mal ! aussi n’est-ce pas mon métier :
Mais grâce à mon vilain ramage,
On ne me voit jamais en cage,
Comme vous chez le savetier.
Si l’on me trouve laid, je ne saurais qu’y faire;
Je n’ai pas un air damoiseau :
Mais hiboux pour cela manquent-ils sur la terre ?
Pullulent-ils pas bien et beau ?
Ils trouvent donc bien à qui plaire.
Je n’ai pas un ami ! je conviens de ce point;
Et de plus, je n’en cherche guère.
Parce que je ne me plais point
À courir après des chimères :
Encore en vaut-il mieux manquer, et le savoir,
Qu’en manquer, et croire en avoir.
Je n’en veux point, fondé sur des raisons si belles.
Vous vous en faites cent, et faites fonds sur eux;
Soyez un moment malheureux,
Et vous m’en direz des nouvelles.
Ma foi, monseigneur le hibou.
Reprit la linotte peu sage,
Philosophez tout votre sou.
Je plaignais votre sort, je disais : c’est dommage !
Vous dites : c’est tant mieux ; adieu, vous êtes fou.
Je vous plaignais un peu; je vous plains davantage.
Fort bien ! dit le hibou ; je suis fou, j’y consens.
Je doute toutefois que mon air le dénote.
Mais vous n’ignorez pas quelle sorte de gens
On nomme tête de linotte.
U suffit pour juger de nous,
De voir le rang qui nous conserve :
Vous servez de symbole aux fous,
Et je suis l’oiseau de Minerve.