Un Hibou, qui, parmi les oiseaux du vallon,
Jadis, s’était fait un renom
Par sa perversité profonde,
Maintenant retiré du monde,
Songeait à son salut, à sa conversion.
Hélas ! dans le siècle où nous sommes,
Cela se voit fréquemment chez les hommes.
Quelque chose pourtant troublait notre Hibou ;
Sans cesse on l’entendait se plaindre dans son trou.
Son fils lui dit un jour : —« Pourquoi ces doléances ?
» D’où vient ce sombre déplaisir ?
» N’est-il nul terme à vos souffrances ?
» Ne puis-je, moi, les adoucir ? »
Le Hibou répondit avec un gros soupir :
— « Depuis que le Phénix, à l’éclatant plumage,
» A paru dans nos bois,
» Les oiseaux enchantés, partout sur son passage,
» S’empressent d’accourir pour admirer sa voix.
» Que suis-je ? moi ! L’écho de la tristesse :
» L’oiseau sacré de la sagesse
» Est devenu pour tous l’augure du malheur ;
» A mon aspect, on fuit avec horreur,
» Et ce même Phénix, en agitant ses ailes,
» En fait jaillir des étincelles
» Trop vives pour mes faibles yeux. »
— « Eh bien ! reprit le fils, punissons l’orgueilleux !
» Si ces Phénix ont pour eux la lumière,
» Par une faveur singulière,
» N’y voyons-nous pas clair la nuit ?…
» Imaginons quelque ruse nouvelle
» Pour provoquer entre eux une bonne querelle ;
» Puis, profitant de leur conflit,
» A l’heure de minuit, par le temps le plus sombre,
» Nous nous glissons à la faveur de l’ombre,
» Et nous les plumons tous sans bruit. »
— « Je doute de la réussite. »
Répliqua le vieil hypocrite.
—« Eh bien ! si mon projet par vous n’est pas goûté,
Ajouta le cher fils avec vivacité,
» Nous brûlerons cette horde maudite. »
— « Ah ! dit le vieillard enchanté,
» Viens sur mon cœur, que je t’embrasse !
» Viens, mon fils, à ce trait je reconnais ma race ;
» De tes réflexions je suis vraiment ravi ;
» Mais, mon enfant, je dois éclairer ta jeunesse :
» Ton excellent conseil ne peut être suivi,
» Car, par malheur, Phénix est seul de son espèce.
» Détruire par le feu cet oiseau scélérat
» N’aurait pas meilleur résultat.
» Le pourquoi, je vais te l’apprendre :
» Si l’on brûle Phénix, il renaît de sa cendre. »
Le progrès est le fruit de la saine raison :
Nul ne peut l’étouffer, l’idée est immortelle ;
Le glaive, les bûchers, la corde ou le poison
Ne prévaudront jamais contre elle.