Une foule de gens embrassent vingt projets
Et, loin d’être effrayés du nombre,
Aux vingt premiers déjà dont ils portent le faix
De vingt autres encore ils ajoutent l'encombre.
Quel est le résultat ? Sans doute un monument !
Loin de 1a !... Seulement décombre sur décombre ;

Nul projet n'aboutit ; l'apologue suivant
Vaudra pour exemple probant.
Deux Singes, père et fils, en campagne, pour lucre,
Font rencontre d'un champ plein de cannes a sucre ;
C’était pour eux festin de roi.
Les Singes sont friands de telle picorée ;
Jugez si père et fils sont prompts a la curée !
Ils en mangent leur saoul ; puis songent au convoi.
Le père fit son faix léger et sur l’épaule,
Bien lié, le place avec soin.
Plus glouton le second Babouin
De sa moisson fait un vrai mole,
Mais sans ceps pour le maintenir ;
Soudain l’alarme sonne et Singes de s'enfuir !
Le père avec son faix s’esquive}
Sans nulle encombre, allégrement.
Le fils, avant d’en faire autant,
Prend dans ses bras charge excessive,
Mais pèle-mèle, a tout hasard.
On le poursuit et le fayard,
Serré de prés, hâtant sa course,
S’en va, semant par le chemin
La meilleure part du butin
Et n’arrive au giron que vide de ressource
Et tout penaud.
— « Tout entière voila ma gerbe, »
Dit le vieux Singe a son jeune Magot ;
Mon fils, retiens bien ce proverbe
Que je tiens d'un aïeul qui d’un aïeul le tint :
Qui trop embrasse mal étreint. »

Livre II, fable 7


Gorges de la Chiffa, 18 Août 1853.

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