Les Singes et le Manant Nicolas Grozelier (1692 - 1778)

Un Bateleur en public fit paraitre
Un Singe, instruit à faire mille tours.
On y courait ; Fagotin tous les jours
D’un nouveau gain enrichissait son maître,
C'était merveille de le voir,
Tant il était expert. Aussi dès son bas âge
Il avait fait d’adresse un rude apprentissage.
Plus d'un Badaut eût souhaité l'avoir.
Certain Manant surtout crut sa fortune faite,
Si de tels animaux il pouvait faire emplette.
Il part donc pour un port de mer :
Des nouveaux débarqués aussitôt il achète
Deux Singes des plus gros, qu’on lui vend très cher.
Il croyait que la République
Des Singes de Guinée, en bonne politique,
Nous les envoyait tout dressés.
A ta taille il jugeait les siens maîtres passés :
Mais ce n’était encor que la simple matière ;
Il fallait y donner la forme régulière.
Qui met le prix à tour : ce n'était là son fait.
Il revient cependant chez lui très satisfait,
Et se promet grosse chevance,
Dès qu'il est arrivé, le voila qui commence
A vouloir exercer les comiques talents
De ses deux commensaux. II les trouve méchants
Et furieux jusqu'à la rage.
Ils ne savaient qu'insulter les passants,
Mordre le chien, le chat, renverser le ménage
D’apprendre quelques tours ils avaient passé l'âge.
De peur de plus grands accidents,
Il fallut s'en défaire e ce fut le plus sage.
Adieu tous les projets. L’infortuné Manant.
Perdit sa peine et fon argent,
Comme il arrive d'ordinaire,
Quand on fait un métier que l'on ne sait point faire.

Livre I, fable 13




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