L'Ours et les Chiens Pierre Chevallier (1794 - 1892)

Tandis que faisant face à deux ou trois bouteilles,
Leur maître un soir au cabaret
Tranquillement s'enluminait
La trogne de couleurs vermeilles,
Un ours et quatre chiens, sur la paille étendus,
Venaient de bien souper, et tous contents, repus,
Riaient dans une grange, entre eux, à perdre baleine,
Des moyens qu'ils avaient, sur la publique arène,
Pour bien jouer leur rôle, employés le matin.
— Avez-vous remarqué, dit à l'ours un mâtin,
Quand à peine lâchés pour vous livrer bataille,
Complaire aux spectateurs, misérable canaille,
Avez-vous remarqué, dites-moi, Monseigneur,
L'effet que produisit notre feinte fureur ?
Dans un morne et profond silence,
Pendant quelque temps l'assistance
Interdite en frémit d'épouvante et d'horreur.
— Oui, reprit celui-ci, tu dus voir, cher confrère,
Qu'alors, en habile compère,
Je feignis de m'évanouir ;
Qu'un rauque cri sorti du fond de mes entrailles,
Jusqu'en leurs fondements fit trembler les murailles,
Qu'un moment nos badauds crurent me voir mourir.
C'est grâces à ces tours, et grâces aux recettes,
Qui sont de plus en plus complètes,
Mes chers amis, que nous devons
Les bons repas que nous faisons.

Ah ! que n'agissez-vous de même,
Pauvres lions, tigres, taureaux, :
Alors que vous voyez de cruels animaux,
Portant le nom d'humains, prendre un plaisir extrême.
A vous faire entre vous égorger en champ clos !

Livre II, fable 4




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