Le Capitaine de Vaisseau Louis de Valmalète (19 siècle)

Venant d'une plage lointaine
Un vaisseau chargé richement,
Et qui portait à bord son capitaine,
Sur un fleuve voguait majestueusement :
Vers la droite il cinglait pour gagner le rivage.
De la rive opposée, on entend mille voix
Qui s'écrièrent à la fois :
« Capitaine, fuyez cette maudite plage
Où vous attendent mille morts :
Croyez-nous, et, pour être sage,
Venez débarquer dans nos ports,
Ou ç'en est fait de vous et de votre équipage. »
On s'écriait de l'autre part :
A ce discours n'ayez aucun égard :
Des dangers près de nous, ah ! pourriez-vous le croire ?
Votre avantage et votre gloire
Sont l'unique objet de nos vœux :
Votre bonheur peut seul nous rendre heureux. »
Ne croyez point à leurs paroles,
Reprend soudain le sinistre côté ;
Qui, par leurs promesses frivoles
Trompant votre crédulité,
Ils ne songent qu'à leurs affaires.
Hé bien ! disent leurs adversaires,
Croyez les faits : voyez quels furent les destins
Des vaisseaux qui s'étaient confiés en leurs mains :
Voyez-en les débris dont leur rive est couverte ;
Pouvez-vous, avec eux, douter de votre perte ?
Mais, malgré ce discours, qui semble assez précis,
Notre capitaine indécis
Évite également l'un et l'autre rivage :
S'imaginant être fort sage,
Du fleuve il garde le milieu.
Hélas ! pour lui ce fut un mauvais jeu ;
Car le courant auquel il se confie
Bientôt le porte au confluent
Qui formait dans la mer un gouffre dévorant,
Où l'on vit s'engloutir sa fortune et sa vie.
Entre le vice et la vertu, `
On conçoit qu'un cœur combattu
Puisse garder un milieu légitime,
S'il tient peu, toutefois, à la publique estime ;
Mais jamais un gouvernement
Ne reste neutre impunément.
Il doit à la vertu sa juste récompense ;
Il doit au crime un châtiment,
Et rien de ce devoir jamais ne le dispense.

Livre I, Fable 13




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