Le Lévrier et le Chien-Couchant Jean-François Haumont (17** - 18**)

Au chien-couchant, son compagnon,
Un lévrier, disait : je quitte la maison ;
Depuis assez long-tems je suis dans l'esclavage
D'un maître dur, qui jamais ne partage
Les lièvres que je prends à la course pour lui.
Je ne veux plus travailler pour autrui.
Qu'en dites-vous, compère ? il est plus agréable
De chasser pour son profit.
Vous parlez d'or, sans contredit,
Répond le chien-couchant ; n'est-il pas pitoyable
De régaler ces beaux seigneurs,
Des morceaux les plus fins, des gibiers les meilleurs,
Qu'ils ne doivent qu'à notre adresse :
Pensent-ils donc qu'une caresse
Quelques petits os à ronger,
Puissent bien nous dédommager
De tous nos soins, de notre peine ?
Non, non, c'est trop long-tems souffrir.
Le lévrier reprit souvent tout hors d'haleine,
Lorsque je prends un lièvre, à force de courir,
Si je veux y tâter, de bons coups d'étrivière
Ne m'attendent- ils pas au bout de la carrière ?
Encore un coup, partons, mon bon ami.
- Je le veux bien, fuyons notre ennemi.
Nos déserteurs s'en vont dans la campagne.
En arrivant au pied d'une montagne,
Un loup pressé par le besoin
Les ayant aperçus de loin
Voulut disputer le passage.
Un combat furieux s'engage ;
Je n'en peindrai point les horreurs ;
Les deux amis en sortirent vainqueurs.
Raisonnant sur cette aventure,
Le lévrier dit je vous jure
Que la guerre est un sot métier :
Je ne veux plus être guerrier.
Passe encor de courir un lièvre
A qui la peur donne la fièvre ;
C'est un plaisir de vaincre sans danger.
Le premier pris, je promets partager ;
Mais après un combat, il faut qu'on se délasse :
Ça, mon ami, commençons par la chasse :
Fais-nous goûter quelques perdrix ;
Ce mets, je pense, aura son prix.
Le chien-couchant se met en quête
Bat les sillons, il flaire, évente, arrête ;
Mais les perdreaux ne font que s'envoler.
Le chasseur malheureux, prêt à se désoler,
Mourant de faim, excédé de fatigue,
Dit à son compagnon de chasser à son tour,
Afin de prendre un lièvre avant la fin du jour.
- A mon tour ? oui, je vois qu'il faut que je m'intrigue,
Et j'ai pour moi la force et la légèreté :
Dans peu nous dînerons, ne te mets pas en peine.
Aussitôt dit, il part avec célérité.
Un lièvre paraît dans la plaine ;
Son ennemi fond sur lui comme un trait
Le joint, l'étrangle, et se dispose
A le croquer comme un poulet.
L'autre, alléché par l'odeur, se propose
De prendre sa part du repas :
161 Tout-beau ! vous n'en tâterez pas :
Non, mon ami, sur ma parole,
Si tu veux y toucher, je te fais repentir.
Adieu, mon cher, tu peux partir.
Le pauvre chien- couchant, prie, en vain se désole ;
Mais le plus fort lui dit : va chercher un perdreau,
Pour moi je garde mon levreau.
Le besoin nous unit, l'intérêt nous divise,
C'est du genre humain la devise.

Livre III, Fable 8




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