Le Lièvre et le Lévrier Emile Erckmann (1822 - 1899)

Parmi les choux d'un potager
Un bon gros lièvre avait son gite.
Et pouvait, sans se déranger,
Chaque soir leur rendre visite.
Dès le matin, au point du jour,
Quand la nature se réveille,
Notre lièvre, dressant l'oreille,
Aux environs faisait un tour.
L'âme contente et reposée,
Les yeux brillants, le nez en l'air,
il parcourait, comme un éclair,
La plaine blanche de rosée,
Et respirait les mille odeurs
Que la terre à cette heure exhale,
Avec le doux parfum des fleurs
Et de la brise matinale ;
Il écoutait, émerveillé,
La vive et fraîche chansonnette
De quelque joyeuse alouette
Montant au ciel ensoleillé.
Enfin, rentrant à l'ermitage,
Derrière un maître chou blotti,
il ne bougeait plus de son nid
Et louait Dieu de son ouvrage :
« C'est pour nous que le Ciel a fait
Les blés, les trèfles et l'avaine, »
Se disait un jour le bon moine
Voyant tout grandir à souhait ;
Derrière un buisson de genièvre
il chantait son alléluia,
Quand soudain un chien lui cria :
« Le Ciel t'a fait pour moi, beau lièvre ! »
Hélas ! c'est bien là notre sort :
Le Ciel fait tout pour le plus fort.

Livre I, fable 13




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