Deux Lévriers, muselés tous les deux,
Qui bons amis de prime abord se montrent,
L’un jeune, l'autre déjà vieux,
En un carrefour se rencontrent.
Apres échange de saluts,
Le plus jeune prend la parole:
— « Quoi! dit-il; » envers vous, par un étrange abus
L’homme comme envers moi se montre malévole !
Vous aussi musèle ! ma fureur s'en accroit !
Rien n'est plus odieux que telle tyrannie ;
Contre aussi cruelle avanie
Je crie anathème a bon droit:
Maudits soient homme et muselière ! »
— Calme, mon jeune ami, ton ardente colère,
Lui répond son vieux compagnon ;
Il est vrai, [homme nous muséle,
Mais l'homme de la sorte agit avec raison.
Infectés d'un affreux poison,
Quelques uns d’entre nous ont morsure mortelle ;
C'est peu; de leur venin cruels propagateurs,
Nous infectant nous-même, ils nous rendent complices,
Hélas ! de leurs tristes fureurs ;
Mais les entraves protectrices,
Qui sont pour toi l'objet de vifs griefs,
A nous comme à homme propices,
Nous gardent tous d’affreux méchefs.
Crois-en ma vieille expérience !
Au prix de quelque liberté
Point n’est-ce payer cher notre sécurité !
Faut-il de l'apologue extraire la sentence ?
Elle est bien transparente; hélas! d’humaine engeance
Chiens enragés sont parmi nous ;
On ne peut s’en garder qu’en nous muselant tous.

Livre VIII, fable 6


Alger, le 2 Septembre 1854.

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