Le Rat des champs et le Rat de ville Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Un jour, le rat des champs reçut le rat de ville ;
Vieil hôte, vieil ami, dans son rustique asile:
Sobre et vivant d’épargne a son ami pourtant, .
D’un cœur hospitalier, il apporte à l'instant
Pois, noisettes et glands ; puis il met sur la table
‘Du lard déjà rongé, mais encor présentable :.
Il cherche à ranimer par la variété.
L’appétit languissant d’un hôte dégoute »
Qui touche a peine aux mets d'une dent dédaigneuse ;
Quand lui, maitre du lieu, faisant mine joyeuse ,
Gruge, assis sur la paille, un peu de sarrasin,
Et laisse à son ami le meilleur du festin.
Celui-ci dit alors au pauvre solitaire:
« Pourquoi, comme une taupe, ainsi vivre sous terre?
Laisse la tes forêts, mon cher, et suis mes pas.
Puisque, grand ou petit, nul n’échappe au trépas,
Puisque l’heure qui fuit à jouir nous invite,
Quitte ce froid séjour, ce misérable gite,
Viens en ville avec moi vivre au sein des plaisirs. »
Ces mots du campagnard éveillant les désirs,
Il part, il suit son hôte, et loin de sa retraite
Vers la ville gaiment il court tout d’une traite.
Minuit couvrait le ciel de ses voiles obscurs.
Tous deux inaperçus se glissent sous les murs ,
Et dans un vaste hôtel en rampant s’introduisent,
La, partout a leurs yeux l'ivoire et l’or reluisent ,
Partout brille la pourpre, et dans plus de vingt plats .
Les débris savoureux d’un splendide repas
Sont sur la table encore étalés de la veille.
Le citadin, qui fait les honneurs à merveille ,
Place sur un tapis son hôte et, le servant,
Fait succéder les mets dans un ordre savant,
Va, vient, goûtant d’abord à tout ce qu'il apporte.
Notre rustre ébahi, que ce luxe transporte,
Se montre bon convive et s’en donne à crever.
Mais voila qu’un grand bruit l’empêche d’achever:
Laporte à deux, battants s’ouvre ; mon rat détale;
Son camarade et lui tout autour de 1a salle
Courent; pas un refuge ! et des dogues hurlants
Les cris glacent : d’effroi nos deux amis tremblants.—
« Oh! dit le rat des champs,» ce n'est pas la ma vie!...
- La ville et ses plaisirs n’ont plus rien que j’envie.
Adieu donc je retourne à mon trou.: 1à, du moins, ~
Je puis manger mes pois sans alarme et sans soins. »

Livre II, Fable 3, 1856




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