Le Rat des champs et le Rat d'eau Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

Un jour le Rat des champs aperçut le Rat d'eau
Qui prenait ses ébats sur le bord d'un ruisseau ;
Mon cousin, lui dit-il, la rencontre est heureuse,
Et je ne sais pourquoi j'ai rêvé d'eau bourbeuse :
Nous devons être amis, nos deux noms n'en font qu'un
Nos branches, comme on sait, sortent d'un tronc commun ;
Les marais à la tienne échurent en partage,
Et la mienne des champs m'a transmis l'héritage.
Viens m'y voir ; à cent pas j'habite un mien château,
Dont je fus l'architecte, et qu'on trouve assez beau.
Ne puis-je cependant connaître ta demeure ?
Je veux t'y visiter ; et ce sera sur l'heure.
Je suis, je l'avouerai, fort curieux de voir,
Voir un peu comme est fait ton humide manoir.
Trop d'honneur, répondit l'animal amphibie ;
Mais il faudra nager… Je n'appris de ma vie ;
Mais donne-moi l'exemple, et je t'imiterai.
Mon maître, en débutant, je vous surpasserai.
Soit. Et voilà d'abord mes deux Rats fendant l'onde ;
Mais l'hôte des guérets la trouva si profonde,
Qu'à son maître bientôt l'apprentis eut recours.
Il avait grand besoin qu'on vint à son secours.
Avalant coup sur coup mainte et mainte rasade,
Quand il revint au bord, grâce à son camarade ;
Renonçant pour toujours au métier de plongeur,
Et même à tout métier, qu'il ne le sût par cœur.
Cousin, dit le Rat d'eau, la rivière est fangeuse,
Et ce n'est pas pour rien qu'on rêve d'eau bourbeuse.
Remettons la partie ; allons voir ton château ;
Nous irons doucement, pour sécher notre peau.
J'entreprends avec peine un long pèlerinage ;
Mais je marche du moins ; et c'est un avantage.

Livre I, fable 14




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