Les deux Puces Remacle Maréchal (1796 - 1871)

Vis-à-vis d'un château, s'ébattant sur les herbes,
Deux puces se parlaient ainsi :
« Ces chambres-là, ma sœur, sont, j'opine, superbes.
- C'est probable. Les lits probablement aussi
Y sont des plus douillets et des plus beaux. Sans doute.
- Si nous pouvions, ma sœur, y loger ! - Folle ! - Écoute
Il faut nous aviser d'un moyen... Tiens ! voici
Que vient à souhait par ici
Le maître du manoir avec son domestique.
- Et puis ?
Esprit bouché ! faut-il qu'on te l'explique ?
Lestement nous allons, sitôt qu'il va passer,
Sous son casaquin nous glisser ;
Il nous introduira, voilà tout le mystère :
Y sommes-nous ?... - Ma foi, si le maître te plaît,
Prends le maître ; pour moi, ma chère,
Je me contente du valet. »
Sur son homme à ces mots de s'élancer chacune ;
Celle qui vise à la fortune
De l'autre se riant à part elle on verra
Laquelle la dernière un peu plus tard rira.
Pour abréger, je passe à l'heure
Où tout dans la noble demeure
Aux douceurs du repos commence à se livrer.
Le baron au lit vient d'entrer :
O ciel ! à peine il sent à sa peau chatouilleuse
Frétiller l'aptère maudit,
Que d'horreur il bondit
De sa couche moelleuse !
Une puce, grand Dieu ! sus ! à l'œuvre aussitôt :
Pas de si petit pli qu'il ne visite ; il faut
Qu'à mort d'un bon coup d'ongle il mette
Le monstre noir, affreux... qui se sauve en cachette
Et gagne l'escalier d'un saut.
La piteuse pécore, inquiète, attentive,
Durant toute la nuit reste sur le qui-vive
Sans bouger ; tant qu'enfin, venant le point du jour,
Elle peut, de terreur et de faim presque morte,
S'esquiver par dessous la porte
Et de là rattraper les herbes de la cour.
Elle sera du moins tranquille à cette place.
L'infortunée alors de sa sœur se souvient...
O bonheur ! vers son gîte elle la voit qui vient
A lourds et petits sauts, tant elle est grosse et grasse :
« Ma sœur ! ma bonne sœur ! Oh ! viens que je t'embrasse
Et de lui raconter ses nocturnes émois.

« J'avais pressenti ta disgrâce,
Lui dit l'autre aussitôt. Ma chère, tu le vois,
Tu t'es à peine au lit du seigneur introduite
Que le barbare tout de suite
T'en fait à jeun dégringoler ;
Pendant ce temps, sans cesser de ronfler,
Son valet, à plaisir, me laisse (le bonhomme !)
De son meilleur sang me soûler
Et goûter, qui plus est, dans ses bras un bon somme.
Profite donc, ma pauvre sœur,
De l'aventure : elle te prouve
Que ce n'est pas toujours auprès des grands qu'on trouve
Sécurité, paix et bonheur. »

Livre IV, fable 2




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