Le Renard et les Puces Frédéric Jacquier (1799 - 18?)

Un vieux Renard, connu pour ses astuces,
De la tête à la queue était couvert de puces,
Le malheureux avait beau s'épucer,
Faire toutes sortes d'affaires
Afin de pouvair expulser
Ses incommodes locataires
Se gratter et se regratter,
Contre les arbres se frotter,
Se rouler, se vautrer, souvent même se mordre
En les voulant happer avec les dents,
Les puces tenaient bon, n'en voulaient pas démordre,
Leur victime perdait et sa peine et son temps.
Notez que l'on était en pleine canicule,
Que les œufs cuisaient au soleil,
Et vous comprendrez tMs'%omïî4n"t%.riimalcule,
Sous les feux dévorants d'un été sans pareil,
S'en devait donner à cœur-joie,
Et s'acharner à la peau de sa proie.. '
Pour un instant laissons ces buveuses de sang.
Comme il passait à cent pas d'un étang,
Le victime tout court s'arrête,
Et porte sa patte à sa tête
Comme un poète en mal d'esprit,
Et qui péniblement accouche d'une idée ;
Ou d'une rime au passage attardée.
Renard réfléchissait !... tout à Coup il bondit,
Fait une cabriole, il pleuré, il danse, il rit
Ainsi qu'un fou l'aurait pu faire, et dit : '
« Ah ! gredines, nous allons rire,
Oui, nous allons rire un petit :
Par ma foi ! le proverbe a bien raison de dire -
Que les plus grands esprits sont parfois de grands sots,
Qu'il se trouve souvent du vide en leurs cerveaux,
Que souvent on ignore, où ces-gens ont la tête :
Étais-je bête ! étais-je bête ! »
A peine avait-il dit ces mots,
Qu'il avise à deux pas quelques petits radeaux,
Tressés avec des joncs, des tiges de roseaux,
Et qu'on avait laissés au bord d'une fougère.
« Parbleu ! dit-il encor, voilà bien mon affaire. »
Il attache à sa queue un radeau, puis soudain
Le voilà prenant le chemin...
Qui conduit à l'étang, voisin.
A peine est-il arrivé sur la plage,
Que de sa queue il ôte le radeau,
Le traîne à reculons sur le bord du rivage
En lui montrant l'opposé, du visage
Et plonge la susdite au beau milieu de l'eau.
Les Puces, comme on sait, ont toujours eu pour l'onde
Une aversion très-profonde,
Et celles qui, pour le, moment,
Habitaient ce compartiment,
Se sauvent, précipitamment,
Sautent sur le train de derrière.
Du rusé qui ne remuait :
C'était là qu'il les attendait.
Il fait quatre pas en arrière,
Entre un peu plus avant dans l'eau
En tirant vers lui le radeau.
Soudain toute là colonie,
Par l'onde qui montait tout à coup envahie,
Un peu plus haut se réfugie :
Renard de plus en plus va dans l'eau s'enfonçant
Par une marche rétrograde,
Et, pour éviter la noyade,.
Les Puces vont toujours de plus en plus montant,
Jusqu'à ce que la colonie entière,
Comme en un port qui. doit assurer son salut,
S'élance, épaisse fourmilière,
De l'omoplate à l'occiput.
Au même instant notre sournoise bête
Qui jouissait et riait dans sa peau, :
Fait mine de vouloir aussi baigner sa tête,
De vouloir prendre un bain nouveau.
Toute la république, en ce moment suprême,
Saisie, on le conçoit, d'une frayeur extrême,
De l'occiput saute sur le radeau
Que devant elle avait la bête scélérate-.
Elle donne au navire un très-grand coup de patte ;
Par ce choc imprévu le navire emporté
Majestueusement s'éloigne du rivage,
Mais un grand coup de vent par les airs apporté
Fait pirouetter l'équipage,
Et l'équipage fait naufrage
Tout juste au milieu de l'étang.
Tel fut le triste sort des buveuses de sang.
L'onde en était couverte, en devint toute noire.
Quant au héros de cette histoire,
Il se dit en partant, joyeux-plus qu'à demi :
« Pour déjouer un cruel ennemi,
Adresse, ruse, intelligence
Font souvent cent fois plus que force et violence. »





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