En certain lieu de France, était un vieux Moutier,
Où se trouvait un Bénitier,
Qui parlait, et rendait, ce dit-on, des oracles. -
Un Bénitier, parler, prédire ? Pourquoi non ?
N'a-t-ou vu de pareils miracles ?
Avez-vous oublié Dodone, et le renom
De sa forêt ? Oui bien , ce Bénitier parlait.
Mais, il est bon que je m'explique :
A celui qui l'interrogeait,
C'était par mode syllabique
Que ce Bénitier répondait.
Faut-il vous préciser la chose ?
Il n'aimait pas les longs discours :
Tant de syllabes , tant de jours ;
Qui n'y fût revenu, c'eût été lettre close,
Si que, tout net, la Voix eût dit soit oui, soit non.
Or, il avint qu'un Bourgeois du canton,
De qui la femme avait mis récemment au monde
Un Garçon tout membru, tout mafflu, tout vermeil,
Si beau, qu'il leur semblait n'avoir point son pareil,
Voulut savoir quel sort, à leur petit Joconde,
Le Ciel daignerait octroyer.
Donc, pressé d'en faire l'enquête,
Voilà notre Bourgeois qui court au Bénitier ;
Il s'incline , se signe, et dit : ô grand Prophète !
Toi, qui sais le présent , et connais l'avenir,
Toi, qui n'ignores pas que Dieu m'a fait la grâce
De me donner un fils , dont la beauté surpasse
Toute beauté ; dis-moi : comment doit-il finir,
Ce merveilleux début? Quel rang, quelle fortune ,
Présage à mon enfant sa beauté peu commune ?
Que sera-t- il, enfin ? Et la Voix, à cela,
Riposte, tout d'abord , par la syllabe « Pa !... »
Et le Bourgeois n'en peut obtenir davantage.
A sa femme il revient apprendre comme quoi
Il ne sait rien encor : trop fidèle à sa loi,
La Voix ne m'a servi qu'un « Pa » pour tout potage ;
Mais, j'y retournerai dès demain. Cependant,
Tâchons de compléter le mot... Sera-t-il Page ?...
Bon ! cela ne vaudrait, ma foi, qu'en attendant ;
Il nous faut du certain.... Serait-ce, d'aventure,
Papa qu'on nous prédit qu'il sera ? ... Mon augure
Est par trop ridicule ; et, cela, que chacun
Peut être, ou croit pouvoir se flatter d'être,
Ne vaudrait certes pas qu'on le prédit d'aucun,
Ou cet Oracle- là ne serait passé maître.
Voyons, cherchons encor... C'est peut-être Pacha...
Qui, lui , Pacha ? fi donc : qu'ai-je proféré là !
Fils de Chrétiens, lui, Pacha ! Non, sans doute,
Un Bénitier n'avouerait pas cela.
Mais, c'est assez chercher, nous faisons fausse route ;
Attendons à demain pour le reste : bonsoir ! ...
Et, tout s'endort, bercé, lui , par son bel espoir ;
L'Enfant, par sa Maman ; puis, enfin, la dernière,
Par tant de doux pensers qui bercent une mère.
Notre Homme était debout, lorsque le jour parut.
Pour la seconde fois , vers l'Oracle il courut ;
Puis, lui faisant encor même cérémonie,
Pour la seconde fois , il se signe , et le prie
De terminer le mot qu'hier il commença :
Nous en étions, dit- il , à la syllabe « Pa. »
Achève, grand Prophète ! Et la voix de répondre
Par la syllabe « Pe ! ... »
Pape ! Qu'ai-je entendu!
Pape ! ... Pape ! ... Mon fils ! ... M'y serais -je attendu ! ...
Pape ! ... Pape ! ... O mon Dieu, c'est de quoi me confondre!
Merci, mon Dieu , merci , je n'espérais pas tant !
A ma femme, tout à l'instant,
Courons en porter la nouvelle ;
Mais prenons-nous-y prudemment,
De peur qu'elle ne pâme. Et, dès qu'il fut près d'elle,
Femme, lui cria-t-il , je tiens le mot, enfin :
Notre fils sera Pape ! Entends-tu ? Pape, dis-je...
Sa prudence tenait tant soit peu du vertige .
Mais, comme la Maman, pour Monsieur leur Bambin,
Jusques à la Papauté même,
Ne voyait rien de rien qui lui parût extrême,
Elle ne pâma point . Et le Bourgeois , calmé :
Peut-être auriez-vous mieux aimé
Que le Seigneur nous fît une moins haute grâce,
Et que, ce fils si beau, simplement il le mît
En quelque dignité, qui, du moins, lui permît
De perpétuer notre race.
Mais, il se faut soumettre aux décrets du Seigneur ;
Et, de plus, nous devons, Madame, faire honneur
Au choix dont il nous gratifie
Nous, et tous ceux de notre nom.
Je veux qu'en un banquet, dès demain, réunie,
Notre famille, à l'unisson,
Du petit Pape glorifie
La future exaltation.
Puis, le repas fini , pour couronner la fête,
Le Pape et vous marchant en pompe à notre tête,
Nous irons tous joncher de fleurs le vieux Moutier,
Et bénir le Seigneur, et le remercier
De la distinction insigne
Qu'il accorde à notre héritier.
Mais, je cours chez les gens que je veux convier
A ce festin ; songez que je veux qu'il soit digne
De l'avenir pontifical
Qui s'ouvre devant nous ; faites-le donc, Madame,
Tel que cet avenir de vos soins le réclame,
Tel qu'on dise : c'était un vrai festin papal !
Le Bourgeois part, revient : on se couche, on se lève ;
Et le festin est prêt. Enfin, chaque invité,
Tout en se demandant si ce n'est pas un rêve
Que ce Pape en maillot , boit à sa Papauté.
Mais, tel doute au Bordeaux, qui s'éclaire au Champagne;
Donc, le moment venu de quitter le banquet,
Pour se rendre au Moutier, chacun prend son bouquet ;
On se range en cortége , on se met en campagne,
On croit que c'est un Pape, au vrai, qu'on accompagne ;
Bref, on arrive. Le Bourgeois,
S'inclinant, se signant, pour la troisième fois :
Des volontés de Dieu véridique Interprète,
Dit-il au Bénitier, si, de ce qu'il décrète,
Il n'est rien que ce soit qui te reste inconnu,
Bien mieux dois-tu savoir, sans que je te l'expose ,
Pourquoi, suivi des miens, ici je suis venu;
Souffre qu'en déclarant à qui de droit la chose ,
Je te prenne à témoin de mes engagements !
Puis, aussitôt, à l'Assistance :
Nos Amis et Féaux Parents,
Voulant perpétuer notre reconnaissance
Envers le Créateur, dont la munificence
Elève à des honneurs si grands
La créature à peine née,
Que sa bonté nous a donnée ;
De ce Pape in ovo, Nous, le Père, entendons
Qu'à sa famille, de nos dons,
Il soit offert, par chaque année,
Un grand et splendide festin,
Comme celui de ce matin,
Après lequel, ici, nous viendrons tous ensemble,
Pour le but qui, présentement,
Bouquet en main, louange au cœur, nous y rassemble ;
Et voulons que le tout ait lieu jusqu'au moment
Où notre Fils, définitivement,
Sera Pape, suivant la promesse à nous faite
De par le Ciel !... O grand Prophète !
Fait- il , en adjurant alors le Bénitier,
Ne me l'as-tu pas dit : il sera Pape ?... « Tier ! »
Crie, à ce coup, la Voix... Papetier !... Qu'est- ce à dire ?
Repart notre Homme indigné ; tu veux rire :
Lui, mon fils, Papetier, mon fils , un fils si beau ?
Sauf le respect de Dieu, non, de par tous les Diables !
Merci, l'ami, de ton cadeau :
Tes oracles sont pitoyables !
J'en ferais, sur ma foi , bien plutôt un Curé :
Tout chemin mène à Rome. Au surplus, je verrai ;
Car, c'est, bien jeune encor, songer à la tiare.
Enfin, la troupe se sépare :
On s'en revient, ceux-ci joyeux, ceux-là confus ;
Nos Festinés, chantant, comme gens bien repus,
Nos Dépapés, sans plus d'éclat ni de fanfare
Que de pauvres chasseurs, qui, près de toucher barre,
Leurs chiens menant, les ont tout à coup vus
Rompus.
De là, me direz-vous, qu'infères-tu, bonhomme ? -
Ce nom me plairait fort, s'il m'était donné comme
A Jean, mon maître, il fut donné !...
Mais, vous m'avez questionné ;
Donc, sans trop me faire semondre,
Tant bien que mal je vais répondre.
Ami Lecteur, ce Bénitier,
Que mon Bourgeois allait chercher au vieux Moutier,
Chacun de nous le porte avec soi-même :
C'est notre imagination,
Dont l'étrange ondulation,
Insaisissable phénomène,
Nous sera toujours un problème
Sans terme, sans solution.
Il n'est de vérité qu'elle ne nous déguise ;
Il n'est de bien, de mal , de crainte ni d'espoir,
Que du soir au matin, ou du matin au soir,
Elle ne fasse, en nous, passer, selon sa guise,
Du noir au blanc, du blanc au noir.
Tel, sur la foi de cet Oracle,
Rêvant, tout éveillé, qu'il s'en va grandissant,
À force de grandir, se couche, enfin, géant ;
Mais, enfuyant, la nuit emporte le miracle,
Et le géant, déchu, n'est plus, le lendemain,
Qu'un nain.
Voilà les tours de la maudite :
Richesses, dignités, couronnes, il n'est rien
Que, sans jamais regarder au mérite,
A gens de tout esprit comme de tout maintien,
Elle n'accorde bel et bien...
Accorder ?... Non ; pour moins tenons-la quitte,
Elle promet ; quant à la réussite,
C'est l'histoire du Bénitier :
Aujourd'hui Pape, et, demain, Papetier !