Un Loup, nommé Goulard, expirait de famine ;
Pas le moindre petit Agneau
N'était, depuis deux mois, entré dans sa cuisine.
Il résolut, par un accord nouveau,
De s'allier avec la gent Renarde,
Peuble fourbe, race pendarde,
Qu'on faisait jeûner de Chapons,
Ainsi que Goulard de Moutons.
L'affront étant commun, la même humeur pillarde
Guide les deux partis : sans doute le traité
Entre eux fut bientôt arrêté.
Mais pour faire la chose avec solennité,
Le Loup les conduisit dedans une caverne,
Qu'il avait autrefois consacrée à Laverne :
C'est la Déesse des Filous,
Celle par conséquent des Renards et des Loups.
Là, Goulard, pour lui faire hommage de sa gloire,
Avait, en ex voto, pendu mainte toison
Des animaux bêlants, qu'en ses jours de victoire
Il avait croqués à foison.
Douloureux souvenir de sa grandeur passée,
Nouveau tourment encor dans sa triste pensée et
On y voyait, entre autres monuments,
Toute la dépouille complète
D'un Berger et ses instruments,
Habit, cape, chapeau, cornemuse, houlette,
Qu'au dessus de l'autel il avait mis à part,
Comme on y met chez nous le plus bel étendard.
Ce fut fur cet autel qu'on jura l'alliance ;
Ensuite on tint conseil. Le projet du plus vieux
Partant du plus industrieux
De cette Renardière engeance,
Fut de leurrer Chiens et Brebis,
En se servant de ces habits,
Qui n'étaient-là qu'une relique vaine,
Dont la Déesse était peu vaine.
Sire Loup peut, dit-il, s'habiller en Berger ;
Non comme ce sot Loup, dont parle la Fontaine,
Qui de son hoqueton ne put se dégager :
Seulement du chapeau qu'il se couvre l'oreille,
Le corps et le bout du museau
Seront cachés sous le manteau.
Et s'il avait surprise, ou disgrâce pareille,
Il jettera sans peine un si léger trousseau.
Pour nous, fous ces toisons, déguisés à merveille,
On nous prendra chacun pour un petit Agneau,
Les Chiens ne viendront pas nous faire d'algarades,
Et les Moutons, bons Champenois,
S'accosteront de nous comme des camarades ;
Nous les conduirons dans le bois,
Seigneur Goulard en fera grand carnage,
Puis nous procéderons entre nous au partage.
Tous donnent au projet leur approbation.
Cependant les Renards, dans l'exécution,
Craignent d'être trahis par leur queue importune ;
Mais notre vieux coquin en savait bien plus d'une :
Jadis, étant en faction
Dans certain enclos de Nonettes,
Il avait entendu Sœur de la Passion,
Qui lisait à mi-voix le conte des Lunettes.
Il s'en souvint dans cette occasion,
Et du... suivit l'invention.
A son exemple aussi chacun lia sa queue.
Mais il survint un incident
Qu'on n'avait pas prévu. Nos Chiens à longue dent,
A nez encor plus long, sentirent d'une lieue
L'odeur Renarde, et leur coururent sus,
Si que le faux troupeau, tout tremblant et confus,
Se crut heureux d'en être quitte,
Pour laisser, en prenant la fuite,
A l'ennemi, toison, houpelande, chapeau,
Et de pouvoir sauver sa peau.
Ainsi du premier choc tombe un plan chimérique,
Admiré dans le Cabinet ;
Tel Braddok, sur sa carte, ayant pris l'Amérique,
Lui-même en débarquant fut pris au trébuchet.
Nos Renards, plus prudents, prévirent leur défaite,
Et parèrent du moins un désastre complet.
Que n'avait-il, comme eux, au bout de son projet,
Mis l'article de la retraite ?