AUTREFOIS un Dervis, saintement engraissé
De paresse et de bonne chère,
Dans sa barbe, riait de voir un Janissaire
S'en aller d'un zèle empressé
Perdre un bras, une jambe, ou la vie à la guerre.
Viens ici, lui dit-il, magnanime insensé,
Oublier le travail, et braver la misère ;
Viens dans mon cloître comme moi
Nager pieusement au sein de l'abondance ;
Et dans ta dévote indolence,
Voir les hommes suer, souffrir, mourir pour toi.
Si tu n'as rien de mieux à faire,
Après leur mort, tu prieras Dieu pour eux,
Bien entendu que leurs fils généreux
Paieront grassement ta prière.
Le Moine là-dessus lui citait l'Alcoran,
Lorsque le Gendarme Ottoman,
L'interrompant avec colère :
Tu crois donc, lui dit-il, vil fardeau de la Terre,
Inutile Frelon d'Abeilles entouré,
Que ton Dieu te forma d'un limon plus sacré?
Lâche, il t'a commandé de soulager tes frères,
Et de porter ta part des humaines misères :
C'est pour eux, non pour toi, qu'il daigna te créer,
Tu trahis ses desseins, et tu l'oses prier ?...
L'honneur du Genre-Humain voudrait qu'à leur naissance
On eût fait étouffer tout peuple fainéant,
Pour qui la vie est un néant ;
On ne s'aperçoit pas de leur vaine existence ;
Leur perte ne fait point de vuide en l'Univers ;
Toujours vains, et jamais ne connaissant la gloire,
Ils ne font rien au monde, et rien dans la mémoire ;
Ils vivent pour eux- même, et meurent pour les vers.