Au coin d'un bois d'où le regard
Embrassait une vaste plaine
Couverte de bêtes à laine,
Avec son ami le Renard
Causait le Loup. Ah ! quel dommage,
Dit celui-ci, que ce grand chien
Couché là-bas sous le feuillage,
Aux moutons de ce pâturage
Ait été donné pour gardien !
Les bergers l'appellent Ravage,
Et je le reconnais très-bien,
Car, vers cette automne dernière,
Rôdant à l'entour du troupeau,
Un jour je sentis sur ma peau
S'imprimer sa dent meurtrière.
Mais, différé n'est pas perdu ;
Avant qu'il soit peu, je l'espère,
Sur quelque mouton bien dodu
Je prendrai ma revanche entière.
C'est ce beau jeune à museau noir,
Ce scélérat que je déteste,
Surtout que je voudrais avair ;
Et par les dieux qu'ici j'atteste,
Il faut qu'il tombe en mon pouvair....
Mais justement je crois le voir
Qui seul vers ce taillis s'avance ;
Allons, je vais tenter la chance ;
Adieu, camarade, au revoir.
Mon Loup parti, Mais quelle offense
A-t -il reçu de ce mouton ?
Se dit le Renard en lui-même ;
Je ne comprends rien à ce ton
De haine et de dépit extrême.
Quoique très -fin, maître Renard
N'en pouvait deviner la cause.
Mais moi, qui crois savair la chose,
Amon lecteur j'en ferai part
En quatre mots, soit vers, soit prose :
Ce museau noir, ce beau mouton
Avait une mère adorée ;
Il la perdit, et c'est, dit-on,
Par notre Loup, bête abhorrée
De tous les pasteurs du canton,
Qu'un jour elle fut dévorée.
Ainsi, suivant la maxime de l'auteur romain que je cite dans mon épigraphe, auteur à qui tous les replis du cœur humain étaient bien connus, il est dans notre nature de haïr celui que nous avons offensé. Pareils au personnage que je viens de mettre en scène, nous ne cherchons pas à le dévorer, sans doute, mais, convenons-en, nous ne pouvons le voir qu'avec un sentiment hostile.