Le Tyran des forêts, le superbe Lion
Regardait la hauteur et l'ostentation
Comme un devoir du Diadème ;
Il ne sortait jamais de sa fierté suprême.
Aux plus Grands de sa Cour, Tigres etLéopards,
À peine accordait-il dans un jour deux regards,
Et dans deux mois une parole.
Tout tremblait, gémissait sous cette fière idole.
En revanche, Sa Majesté
Baillait toujours de son côté.
Ces premiers droits de la- Nature,
Les délices charmants de la société,
Que goûtait sous les lois la moindre créature,
Il s'en privait lui-même avec austérité.
Trouvant un vuide affreux dans la grandeur Royale,
Son sceptre fatiguait sa grifse Impériale.
Il résolut de voyager,
Voulant par soi-même juger,
Voir si cet ennui tyrannique
Était un mal épidémique,
Dont tous les Rois se sentaient affligés.
On prépare à grand bruit le royal équipage,
Tous ses carrosses sont graissés,
Tous les relais sur la route placés.
Bref, pour début de son voyage,
Il arrive en deux jours sur un rocher lointain,
Où l'Aigle, Roi des airs, tenait lors assemblée
Toute la Nation ailée.
Le Lion fut reçu comme un grand Souverain :
Mais à le bien fêter, toute la Cour zélée,
N'eut de lui pour accueil qu'un assez froid dédain.
Avec l'Aigle pourtant il se rendait humain,
Le traitait emparent, car tous les Rois sont frères,
Delà vient qu'ils ne s'aiment guères.
Mais notez que ceux-ci n'avaient à démêler
Aucun intérêt de barrières ;
De l'Empire des Bois, du Royaume de l'Air,
La Nature avait su régler
Les limites etles frontières.
Nos deux Rois différaient pourtant par leur état
Beaucoup moins que par leurs manières :
L'Aigle, loin d'affecter ces vanités altières,
Savait, par un art délicat,
Sans obscurcir le sceptre, en tempérer l'éclat.
Son peuple avait en lui moins un Prince qu'un Père,
Comme avec ses enfants avec eux il vivait :
En lui la Majesté n'avait rien de sévère ;
Il n'était jamais Roi que le moins qu'il pouvait.
Aussi très bien il s'en trouvait :
Pour tout ce qui semblait lui plaire,
Sa Cour à l'envi s'empressait ;
Heureux par les plaisirs qu'on aimait à lui faire,
Et plus heureux encor par tous ceux qu'il faisait :
Il avait des amis, bien si cher et si rare,
Dont pour les Rois sur tout le Ciel se montre avare ;
Et ce dont le Lion beaucoup plus s'étonnait,
Il était Monarque et riait.
Enfin, il réussit à changer le système
Du farouche Roi des forêts ;
Et dans leurs entretiens secrets,
L'Aigle lui confia que Jupiter lui-même,
Usait ainsi là-haut de son pouvair suprême ;
Que le plus souvent dans les Cieux
Il oubliait son rang avec les autres Dieux ;
Il préfère, dit-il, au séjour du tonnerre,
Les plaisirs de l'Humanité,
Et pour se délasser de sa Divinité,
Le Souverain du Ciel vient rire sur la Terre.
Le Lion converti retourna dans sa Cour,
Où faisant des heureux, il le fut à son tour.
Il faut de temps en temps déposer la Couronne
Elle fatigue par son poids ;
Un des plus doux plaisirs du Trône,
Est d'en descendre quelquefois.