Le Lion et L'ours Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Se doutant peu de sa crasse ignorance,
Un ours, de sa tanière un beau jour échappé,
A chercher fortune occupé,
Dans le grand monde entrait plein d'assurance.
Par un hasard heureux, dans un bois écarté,
Chez un singe, il trouve grande société.
Le voyageur, surpris, voit, dresse les oreilles,
Écoute, observe... il entend des merveilles !
Là, sir ânon pérore ; ici, le rossignol
Avec un serin rivalise,
Et chante, et dièse et bécarre et bémol ;
Le perroquet déclame en prenant une prise.
Du lion généreux on vante le grand cœur ;
De l'éléphant, le noble caractère ;
D'autres de la brebis préfèrent la douceur.
Le tigre fait valoir son ardeur guerrière ;
Le singe et le renard, leur perspicacité.
L'abeille offre son miel ; l'araignée, une toile.
Aux yeux de l'ours, ainsi, chacun dévoile
Son esprit, ses talents, sa magnanimité.

Notre pauvre animal soupire,
Honteux de n'être rien, de n'avoir rien à dire.
« Mais, pensait-il, comme tant d'autres fats,
Ne pourrai-je, à mon tour, payer d'effronterie ? »

« Messieurs, dit-il, vous ne le croirez pas,
Comme moi, gracieux, les ours, en Sibérie,.
Dansent légèrement gavotte. et menuet. »
À la lace on lui rit tout net ;
Ou le hue, on lui dit qu'il est sot, insipide ;
Mais le luron n'en est pas plus timide.
« Ah ! pensait-il, riez ! je ferai mon chemin,
Et de cette leçon prudemment je profite,
Si je n'ai point, moi-même, un éclatant mérite.
Du lion magnanime enviant le destin,
Je veux faire jaillir sur moi sa gloire immense,
Et d'esprit, pour cela, je n'ai nulle dépense. »

Dès cet distant, s'attachant à ses pas,
L'ours, du lion, devient l'inséparable.
La basse flatterie aux grands est agréable,
Et prête au sot un esprit qu'il n'a pas.
Notre caméléon, soit instinct, soit adresse,
Le sent trop bien, lèche, rampe, caresse,
Et réussit si bien, dans ce nouveau métier,
Qu'il captive bientôt du roi le cœur altier.
A côté du monarque, il va tète levée,
Protège à droite, à gauche, et donne des avis ;
De vils flatteurs, lui-même, il voit ses pas suivis.
D'une audace aussi dépravée
Il ose enfin s'enorgueillir,
Et d'un honteux triomphe impunément jouir.

Parvenir sans talents est chose assez commune ;
Mais en estime on perd ce qu'on gagne en fortune.

Livre IV, fable 6




Commentaires