Le Lion, le Renard et l'Abeille Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Chez l'honnête renard (le susdit usurier
Si plein d'honneur en son métier)
Vient un beau jour la fabricante abeille.
« Bon ! dit le vieux en se grattant l'oreille ;
Mille pratiques tous les jours
De cette espèce, et mon affaire est bonne !

— À votre trésor j'ai recours !
— Eh ! tant mieux, que madame ordonne.
— Un peu d'argent, mais pas trop cher.
— Oh ! jamais ! la somme est comptée
A cinq pour cent par jour, et d'avance escomptée ;
Gomme le sahle de la mer,
Vous verrez que cet or chez vous se multiplie ;
Mais... voici notre prince... Ah ! cachez, je vous prie,
Cet argent ; chut !... Salut à Monseigneur !
— Vous me faites bien de l'honneur,
Mon cher, dit le lion (car un grand s'humilie
Quand des petits il a besoin) ;
Mon cher, il me faut vite une somme très-forte,
A cent pour cent, n'importe !
— Dans ce moment, sire, je n'en ai point,
Et je m'en désespère !
Je viens d'en refuser
À l'abeille, une amie, et qui certes m'est chère ! »

Le roi part mécontent. « On peut bien se passer,
Dit le renard, de pareilles pratiques ! »
L'emprunteuse lui dit :
« Il faut, ami, que tu m'expliques
Pourquoi plus qu'un lion, chez toi, j'ai du crédit ?
— C'est qu'avec lui, les chances sont critiques ;
Contre lui, comme un des plus forts,
Je n'ai point de prise de corps. »

Livre III, fable 2




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