La Mort de Raminagrobis
Laissait après dix ans respirer les Souris.
Les Souris et les Rats conduits par Rongemaille,
Erraient en liberté trouvant partout ripaille.
Ils pullulèrent à foison ;
Ratons et Souriceaux trottaient dans la maison.
Pour extirper cette vermine,
Le Maître du logis eut recours au poison.
Il leur sert en un coin un grand plat de farine
À l'arsenic. Ces gens en voyant cette proie,
Se livraient sans soupçon aux transports de leur joie.
Enfants, dit un vieux Rat, soyons plus circonspects ;
Les dons d'un ennemi me sont toujours suspects ;
Votre allégresse ici trop vite se déploie.
Ce que ne put la force en dix ans de combats,
La ruse en un jour perdit Troie.
Sans doute le Nestor des Rats
En rongeant l'Odyssée apprit ce trait d'histoire.
Mais il eut beau prêcher, nul ne le voulut croire ;
Même il fut bafoué de tout son auditoire.
Radoteur, disait-on..... Quoi ! vous ne pouvez pas
Comprendre tout d'un coup quel est cet artifice !
Barbe grise et bon sens font brouilles quelquefois.
On veut par ce butin retarder nos exploits ;
L'ennemi nous redoute ; il fait ce sacrifice
Pour sauver, s'il se peut, son fromage et son lard ;
Voilà toute la ruse et toute la malice.
Or fus à ses dépends déjeunons sans retard ;
Puis nous irons après, suivant notre caprice,
Dîner à la cuisine et souper à l'office.
À ces mots à l'envi l'on avale la mort :
On reconnaît enfin son tort ;
Mais c'est en expirant dans un cruel supplice.