La Rose et l'Immortelle Nicolas Grozelier (1692 - 1778)

N'abandonnons pas les usages
Que nous ont laissé nos aïeux.
Serions-nous aujourd'hui plus sages ?
C'est assez de l'être autant qu'eux.

Les Bouquets, les vers pour la fête,
Sont de ces usages constants,
Qu'on a suivis dans tous les temps :
Recevez donc ceux que j'apprête.

Ces fleurs n'ont pas un grand éclat ;
Les vers font à peu près de même ;
Mais un rien de ce que l'on aime,
Flatte plus qu'un riche apparat.

L'Immortelle, qui se présente,
Va vous faire entendre sa voix ;
Contre une rivale imprudente
Elle fera valoir ses droits.

D'une attention favorable
Honorez sa sincérité ;
Elle n'a recours à la Fable
Qu'en faveur de la vérité.

La vertu, dont elle est l'image,
Régnant seule dans votre cœur.
De mériter votre suffrage,
Elie fera tout son bonheur.

Dans un jardin, de Flore et des Zéphirs chéri,
Végétait tristement, près d'un rosier fleuri,
La fleur que l'on nomme Immortelle ;
Tous les yeux se portaient sur la Rose nouvelle,
Qui les charmait par sa beauté.
Elle en conçut tant de fierté,
Qu'à l'Immortelle sa voisine
Elle tint ce discours : Va-t-en, retire-toi
Te convient-il de rester près de moi ?
Tu sais qu'elle est mon origine,
Elle est céleste, elle est divine.
Je suis l'objet des doux soupirs
Des jeunes et tendres Zéphirs ;
Par leurs soins empressés Scies pleurs de l'Aurore,
Au matin on me voit éclore
Dans l'appareil le plus brillant.
Je fuis les délices de Flore,
Et des Bergères l'ornement.
II n'est guirlande, ni couronne.
Ni festons que je n'assaisonne,
Et dont je ne sois l'agrément.
Mon éclat, mon odeur, font un enchantement»
Je rends de sincères hommages
A vos brillantes qualités,
Lui répond l'Immortelle et tous ces avantages
Ne peuvent justement vous être contestés.
Mais vous avez un peu trop d'assurance
Ma bonne amie, écoutez-moi ;
Voici certainement de quoi
Rabattre votre confiance.
Votre éclat n'est que passager,
Dans un instant il doit changer ;
Le même jour qui vous voit naître,
Vous voit sur son déclin tomber et disparaître :
Vous ne pouvez tenir contre le moindre effort
Des vents pu du Sud ou du Nord :
L'un vous brûle, l'autre vous gèle.
Le Zéphir même le plus doux
Dont vous relevez tant rattachement pour vous,
Vous abat souvent d'un coup d'aile :
Il n'en est pas ainsi de la simple Immortelle ;
Elle est à l'abri de leurs coups.
Il est vrai que je fuis moins belle ;
Mais de l'hiver je crains peu les rigueurs,
Et de l'été les brûlantes ardeurs.
Par aucun accident je ne fuis altérée,
Et par ma constante durée
Je sers à l'ornement des temples, des maisons ;
Ainsi dans tous les temps ma gloire est assurée.
Pour répondre en un mot à vos faibles raisons
Je suis la fleur de toutes les saisons.

Combien de gens, comme la Rose,
Donnent le prix à la beauté !
Après les grands biens, c'est la chose
Qui flatte plus la vanité.
La beauté n'est qu'un bien fragile.
À cet avantage stérile
C'est une erreur de s'attacher.
Quel est donc le bien véritable
Qu'avec soin on doit rechercher ?
La vertu. C'est le seul durable.

Livre II, fable 1


Dédié à M. Emonìn, Maréchal de Camp, en lui envoyant un Bouquet d'Immortelles le jour de sa fête.


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