La Rose et le Buisson Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Une rose croissait à l'abri d'un buisson.
Et cette rose un peu coquette,
N'aimait point son humble retraite ;
C'était même, à l'entendre, une horrible prison.
Son gardien lui disait : « Patience, ma chère ;
Profite de mon ombre, elle t'est salutaire,
C'est elle du midi qui t'épargne les feux ;
Grâces à mes dards épineux.
Des insectes rongeurs tu ne crains pas l'outrage :
Je te défends encor des vents et de l'orage :
Chéris donc ton asile obscur ;
Il n'est pas beau, mais il est sûr. »
La rose est indignée ; elle n'en veut rien croire :
« Vivre ainsi, c'est vieillir sans gloire.»
Un bûcheron parait. « Accours, dit-elle, ami ;
Sois mon libérateur ; fais tomber sous ta hache
Ce vilain buisson qui me cache.»
Le manant, empressé, n'en fait pas à demi ;
Il abat le buisson ; partant, plus de tutelle
La rose de s'en réjouir :
Elle va donc s'épanouir.
Charmer tous les regards, attirer autour d'elle
Le folâtre essaim des zéphyrs ;
Rose, on va l'appeler des roses la plus belle.
O fortuné destin ! 0 comble des plaisirs !
Tandis que la jeune orgueilleuse
Rêve ainsi le bonheur, et vit d'enchantement.
Voilà qu'une chenille affreuse
À découvert sa tige, y grimpe lentement,
Et sur son bouton frais se traîne insolemment ;
Un escargot, plus vil encore.
Vient souiller ses attraits naissants ;
Le soleil, à son tour, de ses rayons brûlants
La frappe, elle se décolore.
Dans le chagrin qui la dévore.
Elle songe au buisson ; mais regrets superflus :
Ce doux abri n'existe plus.
Qu'arrive-t-il enfin ? La rose
Se fane, tombe et meurt, hélas ! à peine éclose.

N'oubliez pas cette leçon.
Innocentes beautés, orgueil de vos familles.
Vos mamans, voilà le buisson.
Croissez toujours à l'ombre, ou gare les chenilles !

Livre I, fable 4




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