Les deux Roses Jean Héré (1796 - 1865)

Dans le même jardin,
Sur le même buisson, le souffle du matin,
Avec l'aurore,
Deux roses fit éclore,
Riches également en fraîcheur, en beauté ;
Mais l'une d'elles,
C'est le défaut de quelques belles,
Conçut en s'admirant un peu de vanité.
- Serait-ce dans l'obscurité
Pour demeurer ensevelie,
Que les dieux me firent jolie ?
Non, déployons à tous les yeux
Les dons que j'ai reçus des cieux,
De leurs bienfaits faisons usage ;
J'ai la beauté, régnons, c'est mon destin,
Sur toutes les fleurs du jardin.
Elle dit, se fraie un passage
Au travers de l'épais feuillage,
Au-dessus du buisson lève un front radieux.

Bientôt le zéphir amoureux
Vient la caresser de son aile ;
Un jeune essaim de papillons,
Pour fêter la beauté nouvelle,
Accourt de tous les environs.
Elle entend sans cesse autour d'elle
Murmurer ces mots : - Qu'elle est belle !
Comment être insensible à ce discours charmant !...

Pour choisir une fleur, entre dans ce moment
De flore un jeune amant.
En voyant du jardin le brillant assemblage,
Il admire partout l'éclat et la fraîcheur
De chaque fleur ;
Les plus belles surtout reçoivent son hommage.

En parcourant ce parterre enchanteur,
Il arrive bientôt vers le buisson de roses.
Parmi les fleurs nouvellement écloses,
Une vient de frapper ses yeux ;
C'est la rose au front orgueilleux.
En la voyant, il oublie
Toutes les fleurs du jardin :
C'est à ses yeux la plus jolie.
Mais, voulant faire un choix certain,
Avant de la cueillir, il cherche encore ; il ouvre
Le buisson, et soudain,
O surprise ! il découvre
Une rose plus belle encor.
C'est la rose modeste et sage,
Qui, sous un protecteur ombrage,
De ses attraits conservait le trésor.
Du grand jour l'haleine brûlante
N'avait point terni sa beauté ;
Son calice était humecté
Sous la feuille rafraîchissante ;
Un souffle impur, une main imprudente
N'avaient pas flétri cette fleur ;
Fraîche comme l'aurore,
Dont elle était la sœur,
Par sa vive couleur
Elle la surpassait encore.

Elle a fixé le choix de notre amant de flore ;
Il la cueille aussitôt, et, l'ayant à la main,
Sans chercher davantage,
Il fait voir aux fleurs du jardin
Que, par un pompeux étalage
Elles peuvent parfois
Attirer quelque hommage,
Mais que, pour faire un heureux choix,
Avant qu'on ne les cueille,
On cherche encore sous la feuille.

Livre I, Fable 18




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