La Couvée Jean Héré (1796 - 1865)

Dans le même panier se trouvaient par hasard
OŒufs de pigeon, de poule et de canard.
Du besoin d'être mère en ce moment pressée,
Une poule survient, se couche sur les œufs,
Les échauffe, les couve en s'étendant sur eux,
Les anime. Bientôt la coquille cassée
Laisse échapper des fragiles prisons
Une famille empressée et nombreuse.
Au milieu d'elle alors la poule heureuse
S'avance avec orgueil, s'agite en cent façons,
Appelle ses petits, leur donne la pâture ;
Et si, par aventure,
Un orage survient, notre poule aussitôt
Se grossit, écarte son aile
Et fait disparaître sous elle
Tous ses poussins blottis à l'abri comme au chaud.

Les petits cependant grossissent ; avec l'âge,
On les voit différer de goûts et de plumage.
Celui qui sort d'un des œufs de canard
A le bec aplati, le naturel criard ;
On trouve l'air plus faible, une voix plus plaintive,
Quelque chose à la fois et de tendre et de bon
Dans celui qui provient d'un des œufs de pigeon.

La poule cependant, toujours mère attentive,
Les trouve tous charmants ; ce sont de vrais bijoux :
N'est- elle pas leur mère à tous !
Elle ne met entre eux aucune différence ;
Et de chacun prévoyant les besoins,
Elle prodigue à tous sa tendresse et ses soins.

Mais au bonheur, hélas ! succède la souffrance !
De pigeons dans les airs passe un essaim nombreux ;
Les pigeonneaux les voient et partent avec eux,
Laissant la poule désolée,
Qui vainement les suit encor des yeux.
A quelque temps de là, notre famille ailée
Passe près d'un étang ;
Des canards sont sur l'eau ; les canards à l'instant
En criant battant l'aile et s'y jettent en foule ;
Les poulets seuls restent avec la poule.

Ma poule est la nature, et ses poussins, c'est nous.
Ce ne serait pas sage,
Que de nous proposer le même but à tous :
Nous différons de goûts ainsi que de visage.

Livre I, Fable 17




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